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Catégorie : Storyboard

T’as pas cent balles ?

Quand j’entends parler de Digital Native, j’ai envie de sortir mon fusil. Mes neveux, mes nièces sont des digital natives, ils sont nés avec l’iPad de papa dans la main, le téléphone de maman dans l’autre, avec un compte Facebook ouvert avant leur 13 ans et plus d’intimités perdues dans ask.fm que de virginité. Mais ce qui est vraiment passionnant avec les digitals natives, c’est que leurs parents sont persuadés que ce sont des petits génies de l’informatique. Et il n’y a pas plus faux. Aucun des digital natives que je connais ne sait mettre à jour son ordinateur et ne parlons même pas de taper une ligne de commande ou de changer une barrette mémoire. Ils connaissent l’usage, ils n’ont aucune idée de la technique. Mais ce n’était pas pour me lancer dans une diatribe inconsidérée contre la jeunesse que j’ai commencé à écrire ce post. Non, c’était pour parler d’argent.

Contrairement aux Digital Natives, qui sont de la génération « euros », je fais partie de la génération « francs », mes parents de la génération « anciens francs ». Longtemps, je me suis couché tôt, c’est vrai, mais surtout longtemps, je n’ai jamais imaginé que je verrais un changement de monnaie. C’est un qui me paraissait totalement absurde. Comme si on décidait demain qu’il faille conduire en roulant à gauche plutôt qu’à droite. Bref, l’euro c’était un peu ma révolution. Mon Mai-68, quoi.

Et comme mes vieux qui n’arrivaient pas à convertir les anciens francs des nouveaux francs (et pourtant, ce n’était pas compliqué), l’euro m’a posé pas mal de difficulté. Si j’ai bien compris que mon salaire était divisé par 6,55759, j’ai moins compris que tout était également divisé. Et qu’un ordinateur à 16 000 francs n’avait pas connu une démarque de 85%. De même, je crois qu’acheter un appartement 250 000 euros m’a semblé à peine impressionnant. Alors que claquer un million et six cent quarante mille francs…

Anyway. En même temps que le franc disparaissait des étiquettes du supermarché, les expressions associées s’éteignaient également dans ma bouche. Fini les « Putain ! y en a pour 10 briques ! », terminé les « ça coûte trois francs six sous » et au revoir le classique « J’ai dépensé 50 balles hier ».

Et je peux témoigner sur l’honneur et sur ma bite que je n’ai jamais utilisé l’expression « balles » avec des euros. «Briques» encore moins. Jusqu’au jour où… Jusqu’à ce jour de mars dernier où je déjeunais avec un compère des Craypion d’Or. Nous devisions devant un cassoulet sauce tartare, quand icelui me dit : « Hier, avec le taxi et les verres, ça m’a fait la soirée à 100 balles ».

Il existait donc encore des gens dans ce monde fou et surexcité qui continuaient d’utiliser « balles » dans leur vocabulaire. J’en aurais chialé. Dans ma tête, c’était interdit, car le mot « balle » désignait de petites sommes. Or, en euros, il n’existe pas de « petite somme ». Rien n’existe en dessous de l’euro. Un verre se paie 10. Un repas est à 100.

Mais ce que me démontrait avec panache mon compagnon de tablée, c’est que malgré ce différentiel de valeurs, rien n’interdisait l’usage du mot « balle » pour remplacer « euro ». Un nouveau monde s’ouvrait à moi, tel Christophe Colomb qui découvre l’Amérique ou plus probablement tel Laurent Romejko qui découvre la carte du temps de demain.

Depuis, je n’arrête plus. « Balles » par ci, « Balles » par là. Je suis insatiable. En fait, je crois que je rattrape treize ans de balles perdues.