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Auteur/autrice : Romain

T’as pas cent balles ?

Quand j’entends parler de Digital Native, j’ai envie de sortir mon fusil. Mes neveux, mes nièces sont des digital natives, ils sont nés avec l’iPad de papa dans la main, le téléphone de maman dans l’autre, avec un compte Facebook ouvert avant leur 13 ans et plus d’intimités perdues dans ask.fm que de virginité. Mais ce qui est vraiment passionnant avec les digitals natives, c’est que leurs parents sont persuadés que ce sont des petits génies de l’informatique. Et il n’y a pas plus faux. Aucun des digital natives que je connais ne sait mettre à jour son ordinateur et ne parlons même pas de taper une ligne de commande ou de changer une barrette mémoire. Ils connaissent l’usage, ils n’ont aucune idée de la technique. Mais ce n’était pas pour me lancer dans une diatribe inconsidérée contre la jeunesse que j’ai commencé à écrire ce post. Non, c’était pour parler d’argent.

Contrairement aux Digital Natives, qui sont de la génération « euros », je fais partie de la génération « francs », mes parents de la génération « anciens francs ». Longtemps, je me suis couché tôt, c’est vrai, mais surtout longtemps, je n’ai jamais imaginé que je verrais un changement de monnaie. C’est un qui me paraissait totalement absurde. Comme si on décidait demain qu’il faille conduire en roulant à gauche plutôt qu’à droite. Bref, l’euro c’était un peu ma révolution. Mon Mai-68, quoi.

Et comme mes vieux qui n’arrivaient pas à convertir les anciens francs des nouveaux francs (et pourtant, ce n’était pas compliqué), l’euro m’a posé pas mal de difficulté. Si j’ai bien compris que mon salaire était divisé par 6,55759, j’ai moins compris que tout était également divisé. Et qu’un ordinateur à 16 000 francs n’avait pas connu une démarque de 85%. De même, je crois qu’acheter un appartement 250 000 euros m’a semblé à peine impressionnant. Alors que claquer un million et six cent quarante mille francs…

Anyway. En même temps que le franc disparaissait des étiquettes du supermarché, les expressions associées s’éteignaient également dans ma bouche. Fini les « Putain ! y en a pour 10 briques ! », terminé les « ça coûte trois francs six sous » et au revoir le classique « J’ai dépensé 50 balles hier ».

Et je peux témoigner sur l’honneur et sur ma bite que je n’ai jamais utilisé l’expression « balles » avec des euros. «Briques» encore moins. Jusqu’au jour où… Jusqu’à ce jour de mars dernier où je déjeunais avec un compère des Craypion d’Or. Nous devisions devant un cassoulet sauce tartare, quand icelui me dit : « Hier, avec le taxi et les verres, ça m’a fait la soirée à 100 balles ».

Il existait donc encore des gens dans ce monde fou et surexcité qui continuaient d’utiliser « balles » dans leur vocabulaire. J’en aurais chialé. Dans ma tête, c’était interdit, car le mot « balle » désignait de petites sommes. Or, en euros, il n’existe pas de « petite somme ». Rien n’existe en dessous de l’euro. Un verre se paie 10. Un repas est à 100.

Mais ce que me démontrait avec panache mon compagnon de tablée, c’est que malgré ce différentiel de valeurs, rien n’interdisait l’usage du mot « balle » pour remplacer « euro ». Un nouveau monde s’ouvrait à moi, tel Christophe Colomb qui découvre l’Amérique ou plus probablement tel Laurent Romejko qui découvre la carte du temps de demain.

Depuis, je n’arrête plus. « Balles » par ci, « Balles » par là. Je suis insatiable. En fait, je crois que je rattrape treize ans de balles perdues.

Du bon usage du marteau

Aujourd’hui, je vais profiter d’une récente expérience de bricolage pour vous parler d’un outil bien pratique au quotidien, je veux bien évidemment parler du marteau.

Comme tous les sujets qui ne sont pas relatifs à Star Trek ou aux Klingons, Wikipédia s’avère bien pauvre en information historique sur le marteau. On nous informe tout juste que depuis que l’homme est homme, le marteau a été utilisé pour percuter des choses aussi variables que de la roche, du métal ou des cranes. Et cette introduction de l’encyclopédie collaborative s’achève deux lignes plus loin avec cette magnifique phrase qui risque de faire se retourner Diderot et D’Alembert dans leur tombe : « Depuis son invention jusqu’à nos jours, son utilité s’est beaucoup développée et elle se développera sûrement avec les années ».

Oui, il est sûr qu’à l’avenir, le marteau sera promis à un développement inouï, probablement concomitant à l’instant où il sera capable d’intelligence et de marcher tout seul, comme l’a démontré Roger Waters dans son opéra rock The Wall.

Marteau The Wall

Je vois déjà Charlton Heston débarquer sur une planète inconnue où des marteaux ont pris le contrôle de l’univers. Mais je m’égare (Saint-Lazare).

Donc.

J’avais une mission particulièrement compliquée pour mes compétences en bricolage : installer une goulotte le long d’un mur pour cacher un câble que je ne saurais voir. J’avais la goulotte, j’avais la colle, j’avais les clous, j’avais le marteau (qui date de 1954, je pense) et j’avais le câble qui pendouillait. Et comme je suis plus malin que tout le monde, ma goulotte était exactement de la taille du câble : un centimètre. Dans la goulotte, il y avait des trous ci et là pour me permettre de planter des clous, à la mode de chez nous. Mais un problème évident survint dans mon esprit : comment la tête du marteau qui présente une surface de deux centimètres par deux centimètres pour taper (qu’on appelle « la table ») allait bien pouvoir entrer dans la goulotte d’un centimètre ?

À Table

Goulotte a

Au bout d’un mois de réflexion, j’ai fini par me dire que c’était tout bonnement impossible et que j’allais simplement coller cette putain de goulotte de merde à la con.

Évidemment, la colle n’a pas tenu, et ma goulotte s’est fait la malle. J’ai donc utilisé toutes les ressources de mon cerveau et, saisissant le marteau, j’ai essayé tant bien que mal de clouer les clous dans la goulotte en tapotant avec les angles de la table.

Hélas, comme attendu, une fois que la tête du clou était entrée dans la goulotte, je n’arrivais pas à finir le travail. À moins de péter la goulotte.

Deux ans plus tard, alors que le fil était toujours bien visible et que j’étais en train de le regarder en me disant « Bordel de bite au cul, c’est pas croyable, comment qui font les autres ?! », j’ai réalisé que le marteau n’avait pas qu’un côté. Il suffisait de taper avec le côté opposé du marteau (qui s’appelle « la panne »), bien plus fin, pour que le clou finisse sa course et rentre complètement dans le mur.

Panne de cerveau

Goulotte b

Une découverte majeure pour l’homme (tout au moins, moi) qui n’a fait l’objet d’aucun tutorial de Leroy Merlin (incroyable !) et qui confirme ce que disait Wikipedia en préambule : « l’utilité du marteau se développera sûrement avec les années ».

Et si vous avez des travaux de peinture, rénovation, plomberie ou projection de béton armé, n’hésitez pas à faire appel à mes compétences hors du commun.

Ma méthode miracle pour bien s’organiser

En près de vingt ans de carrière professionnelle de haut niveau où j’ai côtoyé les meilleurs (c’est-à-dire principalement moi-même, le reste de l’univers étant composé majoritairement d’abrutis), j’ai eu l’occasion d’appréhender de nombreuses méthodes d’organisations afin d’améliorer ma productivité dans le cadre d’une synergie entre effort et réconfort.

Cette expérience me permet aujourd’hui de prodiguer d’excellents conseils aux entreprises en mal d’efficacité. Et parce que je suis sympa, j’ai décidé de partager avec les lecteurs de mon blorgue mes notes de service sur de célèbres méthodes créées – souvent par des charlatans – soi-disant pour travailler mieux. Si la lecture de cet article vous a apporté quelque chose, n’hésitez pas à faire une donation PayPal ou Bitcoin. Mon pseudo : onissouakimalypanse.

1. La méthode des « 5 minutes »

J’ai découvert cette méthode aux termes d’heures de pérégrinations sur le web. Son concepteur a un credo assez audacieux : si ce que vous devez faire ne nécessite pas plus de cinq minutes, alors faites-le.

Sur le principe, c’est génial, parce qu’on fait PLEIN de choses, mais cette méthode a un GROS défaut, c’est que pratiquement tout ce qu’on doit réaliser dans la vie prend en moyenne cinq minutes. Descendre les poubelles, répondre à un mail, étendre le linge, nettoyer une casserole, téléphoner à mamie, changer la couche du petit dernier, faire l’amour (oui, ça me prend cinq minutes). En revanche, allumer la console pour jouer à GTA V, opération qui me prend entre quinze et vingt minutes (« Une mise à jour de 8 Go est disponible, voulez-vous la télécharger ? » « Non ? Vous ne voulez pas la télécharger ? » « Si vous ne la téléchargez pas, vous ne pourrez pas jouer, voulez-vous la télécharger ? » « Oui ? » « Oui ! »), est impossible.

Verdict : nul.

2. La méthode « Pomodoro »

Elle se base sur le même principe que la méthode des cinq minutes, mais cette fois-ci, les tranches durent 25 minutes. Pour faire clair, on passe de : « Ça me prend cinq minutes, je le fais » à : « Je me donne 25 minutes pour le faire ».

Et alors, là, c’est YOLO. Parce que 25 minutes, c’est ou trop long ou trop court pour faire quoi que ce soit. Exemple : se brosser les dents -> 25 minutes ; regarder la télé -> 25 minutes ; faire des recherches pointues pour son travail -> une semaine ? Mais non, triple buse ! Avec la méthode Pomodoro -> 25 minutes. Et quel que soit le résultat, au bout de 25 minutes, c’est obligatoire, tu lâches ton stylo et tu te barres. Je l’ai fait dans plusieurs réunions, l’effet est garanti.

Mais pourquoi 25 minutes ? A quoi ça correspond ? L’explication est digne de l’Église de scientologie. C’est parce que 25 minutes, c’est le temps nécessaire pour faire cuire des tomates afin d’en faire une sauce pour les pâtes. Et, dans la grande tradition de l’alimentation vivante à base de graines germées qui nous dit que « si c’est bon pour la nature, c’est que c’est bon pour nous aussi », les spécialistes de l’organisation ont accouché de cette équation stupéfiante : 25 minutes pour faire une sauce = 25 minutes pour écrire une thèse sur la mise en œuvre des référentiels techniques dans le cadre de la régulation des risques nucléaires en cas d’inondation. CQFD.

Verdict : attendez, ça cuit.

3. La méthode GTD

C’est la méthode la plus célèbre. On la doit à David Allen, j’avais même acheté son livre : « S’organiser pour réussir ». Le premier chapitre évoquait les fournitures à trouver avant même de commencer. Il fallait des chemises, des crayons de couleurs, des étiquettes et surtout des bannettes, mais en « format italien », c’est-à-dire de manière à pouvoir glisser les dossiers dans le sens de la longueur et non de la largeur. Bah, va trouver des bannettes comme ça chez Office Dépôt, et reviens me voir, hein. Im-pos-si-ble. Je ne suis pas allé plus loin. Car, outre ce problème de matières premières, indispensable pour bien débuter en GTD (qui veut dire « Get Things Done », mais il n’y a rien de plus faux), la méthode est très compliquée.

Il faut lister ses projets, puis lister dans chaque projet, les étapes nécessaires à son avancement et, à chaque étape, il faut associer un « contexte » (l’endroit où l’étape peut se réaliser). J’avais fait un projet « Faire les courses ». Il y avait en première étape : « Vider le frigo et jeter ce qui est pourri » dans le contexte « Maison », puis en seconde étape : « prendre une feuille de papier » dans le contexte « Bureau », puis en troisième étape : « faire la liste des achats » dans le contexte « WC », puis en quatrième étape : « acheter les victuailles » dans le contexte « Supermarché ». Un vrai bordel.

Verdict : dans le contexte « casse-couille », cette méthode est championne.

4. Ma méthode

Forcément, à force d’essayer les méthodes des autres, j’ai fini par développer la mienne. Celle-ci s’est montrée d’une efficacité redoutable dans le cadre de l’organisation de ma vie. Elle est à mon image, simple et sophistiquée.

Il vous faut une feuille de papier. Prenez la feuille, ramenez l’un des angles de la feuille vers le bord opposé de manière à faire un carré. Coupez la partie qui dépasse. Pliez l’autre diagonale de la feuille. Ramenez chaque coin vers le centre, ça fait une jolie enveloppe. Pliez chaque coin à nouveau et rabattez au centre les extrémités. Dépliez l’intérieur vers l’extérieur, ressortez les coins, retournez le pliage, pliez vers l’intérieur en deux et tirez de chaque côté. Et voilà :

Un joli bateau

Certes, vous n’avez atteint aucun des objectifs planifiés pour la journée, mais vous avez dorénavant un très joli bateau.

Pas à pas

Chez Ikea, il y a un truc que je trouve particulièrement génial (et qui pourrait occuper la moitié de mon temps passé dans le magasin si je n’avais pas à faire trois allers-retours dans les entrepôts pour trouver la référence 14.235.458-8), ce sont les machines qui font subir aux produits de la marque des tests effrénés pendant des heures et des heures. Cette première phrase était longue, mais je suis sûr qu’avec un peu d’attention vous devriez pouvoir en comprendre le sens. Bande de cons.

Au-dessus, il y a un vieux compteur moisi avec des gros bâtons rouges qui nous informe du nombre de fois qu’une porte a été ouverte ou fermée, qu’un poids de 80 kilos a été écrasé l’assise d’un fauteuil ou qu’un tiroir a été tiré et poussé. Bref, c’est génial. Sauf que très souvent, malgré la promesse d’une durabilité de plusieurs centaines de milliers d’actions, les tiroirs / armoires / fauteuils souffrent de ces tests. Et souvent, les tiroirs ne s’ouvrent plus, le fauteuil est défoncé et la porte de l’armoire est de guingois.

Le Test du placard

Bon, mais si je raconte ça, c’est pas DU TOUT pour vous parler d’Ikea parce que – soyons francs – j’en ai autant à foutre d’Ikea que vous de cet article. C’est ce qu’on appelle une situation « win-win ». Gagnant-gagnant, c’est du vocabulaire de gros bonnet de l’industrie, tu peux pas test.

En fait, c’est parce qu’aujourd’hui, j’ai lancé une application qui compte le nombre de mes pas. Et bien en une journée d’utilisation, j’ai marché 14 181 pas. Je n’ai aucune idée de comment c’est possible de savoir que je marche ou que je prends le métro, mais le résultat est là : 14 181 pas. Et encore, j’ai pas gardé le téléphone quand je suis allé faire caca. Ça se trouve, j’en ai fait 15 000 ! Dingue, non ?

Marche

Ça veut dire que chaque jour, la tête de fémur de chacune de nos jambes roule à l’intérieur de notre hanche 7 500 fois. Depuis mes vingt ans, ce mouvement est arrivé 73 millions de fois. Non, mais attends quoi, 73 millions de fois. Moi, ça m’a un peu fait mal au cœur parce que j’aime pas trop savoir comment le miracle de notre corps fonctionne. Du coup, j’étais un peu dégouté par toute la machinerie mise en branle pour faire ces onze bornes et quelques.

Mais le plus important de l’histoire, c’est que si on était fabriqué par Ikea, on ne tiendrait pas six mois.

Snif, David Letterman s’en va…

« From New York, the greatest city in the world it’s the Late Show with David Letterman ! ». En 1999, je m’installais à Paris, je m’abonnais à Numéricable qui s’appelait alors Noos ou Paris Câble, je ne suis plus sûr. J’habitais le douzième arrondissement, côté rive gauche, pas loin de Nation. Il y avait la chaîne Comédie! et tous les soirs Comédie! diffusait un nouveau numéro du Late Show avec David Letterman. C’est comme ça que j’ai découvert le bonhomme, son humour génial, ses blagues débiles, ses « Top Ten List ». J’étais ultra-fan. Sur mon CV, j’écrivais : « journaliste spécialisé des talk-shows américains ». J’étais le seul sur ce marché de niche qui décollera plus tard quand une ribambelle d’abrutis qui tétaient leur mère quand j’écrivais mes premiers papiers ont découvert Jimmy Fallon, mais j’y reviendrai.

Les deux ou trois fois où je suis allé à New York, je rêvais d’être dans le public du Late Show, mais je n’ai jamais réussi. Car pour y aller, il fallait poireauter devant le Ed Sullivan Theatre et parfois, il fallait répondre à des questions sur le show comme : « Qui est le régisseur plateau de l’émission ? Biff Henderson ». J’avais oublié.

Autant dire que les chances s’amenuisent encore plus aujourd’hui, après l’annonce du départ en retraite du plus drôle des animateurs de talk-shows.

Et c’est peu de dire que Letterman va me manquer, ce qui est débile en soi, vu que je ne le connais pas, qu’il ne me connaît pas et que je ne regarde plus ses émissions aussi régulièrement que je le faisais à l’époque (depuis que YouTube propose des extraits, je m’en contente allègrement, d’autant que l’offre s’est enrichie considérablement depuis que Stephen Colbert s’est émancipé du Daily Show avec son Colbert Report et surtout depuis que Conan O’Brien est sur TBS).

Mais ça n’empêche, c’est comme de savoir qu’un vieil ami s’en va. Il faut dire que j’ai suivi avec angoisse son quintuple pontage cardiaque en 2000, j’ai adoré son long monologue après le 11 septembre 2001, j’ai craint pour lui quand un fanatique voulait l’assassiner. Et puis, je dois à Letterman de m’avoir fait découvrir Johnny Carson. Et Johnny Carson, c’est une tout autre histoire, mais si vous avez un intérêt pour les talk-shows, sachez que c’est la matrice de tout ce qui s’est fait depuis. En plus, les émissions de Carson sont assez fascinantes parce que les invité(e)s étaient les stars d’Hollywood, alors à la fin de son âge d’or. Bref, c’est génial. Et vous verriez la justesse avec laquelle Carson imite l’accent du bouseux texan ! (cette phrase n’est là que pour me foutre de la gueule des « journalistes spécialistes de séries télés » qui me gonflent à me dire que Matthew McConaughey imite à la perfection l’accent texan).

Que dire de plus ? Ah si. Si j’étais en train d’écrire pour BienBienBien (hélas), je poserais la question de la relève. Et, comme l’a dit très bien un comique sur Twitter dont j’ai oublié le nom : « Pour bien faire, il faudrait un « Jimmy » vu qu’il y a un Jimmy Kimmel sur ABC et un Jimmy Fallon sur NBC ».

Ah, Jimmy Fallon, venons-en. Jimmy Fallon, je le déteste. C’est l’usurpateur, l’homme sans âme, le front collé au botox, même pas quarante ans et déjà refait. Toute la jeune garde s’enthousiasme pour Fallon dans leurs papiers pour Télérama ou Les Inrocks. « Mééé Rôgarde, il a rôfait l’histoire du rap avec Will Smith ! ». Ouais, super. Peut-être que je connaîtrais l’histoire du rap, ça me parlerait, note. Non, Fallon a un talent qu’il a perfectionné au Saturday Night Live : il éclate de rire pendant les sketches. Cherchez « Jimmy Fallon cracking up » (bah allez-y, cherchez), il y a au bas mot un million d’occurrences dans Google. Je vous mets au défi de trouver un sketch où il n’explose pas de rire.

Dans le très bon bouquin sur l’histoire du Saturday Night Live (Live from New York), j’ai découvert d’ailleurs que la plupart de ses collègues n’encadraient pas du tout cette façon de rire, car ça casse la dynamique du sketch.

Mais, bon, Fallon fait un très bon remplaçant à Jay Leno : consensuel, dans l’air du temps, sans prise de risque.

Et d’ailleurs c’est la seule bonne nouvelle de ce départ à la retraite de Letterman : David sera parti après ce connard de Jay Leno, et ça, ça vaut tout l’or du monde. Prends ça dans ta gueule, l’homme au gros menton. Et merci, Monsieur Letterman, pour ces heures de rigolade.

Cahiers interdits (4) / Un succès qui dérange

Pendant 4 ans, Gaston Petipetons fut journaliste dans un magazine consacré à la télévision. Quarante ans plus tard, en fouillant dans les affaires de son mari, sa veuve a retrouvé ces cahiers qu’il rédigea à l’époque et qui constitue un témoignage bouleversant sur le métier de journaliste au début de ce millénaire. C’est ce que nous vous proposons de lire aujourd’hui.

Si vous avez manqué le début…
Le premier épisode.
Le second épisode.
Le troisième épisode.

Le boulot de journaliste

Vendredi 4 novembre 2011

A la cantine, chaque midi, c’est la catharsis. On évacue tous les sujets qui nous brûlent les intestins. Et comme on passe dix à douze heures ensemble, autant dire qu’on en a souvent pas mal sur la patate. En fait, c’est pas qu’on se déteste, mais par moment, ça ressemble un peu à de la haine quand même. Surtout quand il y a un voyage de presse à l’horizon et qu’on veut tous y aller (ou tous ne pas y aller, mais c’est une autre histoire). Et la cantine, c’est aussi l’occasion pour les « anciens » de la rédaction de nous prodiguer de bons conseils pour notre survie dans l’entreprise ainsi que de nous faire revivre leur propre histoire, un peu comme les mecs se racontent leurs blessures de guerre dans les films d’actions. « Tu vois Chico, ça, c’est une balle de long-rifle qui m’a touché pendant une interview de Mimi Mathy. Elle est passée à ça de mon bulbe rachidien. J’ai manqué finir ma vie avec en entendant pour la millième fois qu’elle aimerait refaire un one-woman-show ».

Michel, notre rédacteur en chef adjoint, dix ans de maison, a plein d’anecdotes en stock. l’autre jour, il nous a raconté une histoire qui datait de 2003. Il était alors rédacteur et pas « en chef adjoint », et il se fait convoquer dans le bureau de la Chef, un lundi matin, le jour du bouclage. « Michel », lui dit-elle, « on change l’article de une, on va faire un truc sur la Star Academy : l’émission de samedi a cartonné donc il faut un sujet là-dessus dans le journal ». Ok, dit en substance Michel. Et la Chef ajoute : « Le titre, c’est : ‘Star Academy : l’émission qui dérange’, sors du bureau maintenant, tu as jusqu’à 14 heures ».

J’arrête alors Michel dans son l’histoire et je lui demande : « Mais… Tu as fait quoi alors ? Tu as trouvé qui l’émission dérangeait ? ». Et il me répond : « Ouh la ! Oui. L’émission dérangeait les producteurs parce qu’elle avait trop de succès, elle dérangeait les autres chaînes parce qu’elle faisait trop d’audience, elle dérangeait les artistes qui n’étaient pas invités. Elle dérangeait tout le monde ».

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Et voilà donc qu’aujourd’hui, vendredi, c’est moi qui suis convoqué dans le bureau de la Chef. A l’intérieur, il y a les chefs de rubrique, les rédacteurs en chef adjoint. Tout le monde planche sur la couverture. Au fond de la pièce, sous la fenêtre, il y a un énorme crocodile qui ressemble à celui de Lacoste, en porcelaine, je crois. Quand je l’ai vu, je me suis mis à appeler son bureau « l’antre du dragon », et moi, je suis un hobbit. Le matin, nous avons fait comme chaque vendredi notre conférence de rédaction. Elle est arrivée en retard alors j’avais un espoir, c’était de parler avant qu’elle ne débarque. Chacun de nous ayant son petit domaine de prédilection, on organise un tour de table, je suis toujours le dernier à prendre la parole, juste avant qu’on attaque la « semaine télé » proprement dite avec les grands événements des sept jours à venir pour décider des sujets. Je prie pour passer avant qu’elle n’arrive, et je fais de gros regards au rédacteur en chef adjoint pour qu’il me permette de parler avant la fin du tour de table.

Hélas, il ne comprend pas ma détresse et je vois les minutes passer et les risques qu’elle arrive avant que je parle de plus en plus élevés. Finalement, elle arrive au moment où je dois parler. Du coup, elle n’écoute rien de ce que je dis, mais ponctue toutes mes propositions de « So what ? », « Next » évocateurs de l’intérêt qu’elle leur porte. Je finis mon intervention par rappeler que j’ai vu le Twilight 4 et que j’ai une interview Robert Pattinson.

C’est donc pour Twilight que je suis convoqué en ce début d’après-midi : doit-on faire la couverture sur le film ou pas ? Quand soudain, une fulgurance d’un journaliste dans la salle donne la réponse à l’auditoire : « On pourrait titrer : Twilight 4 / Les ados adorent, les parents s’inquiètent« . Banco, dit ma Chef et je suis éconduit du bureau si vite que j’ai à peine le temps de me retourner pour dire :

– Mais ils s’inquiètent de quoi, les parents ?
– Tu trouveras bien.

twilight

Le bon sens en action

Je ne connais pas Guy Birenbaum, je le suis sur Twitter, je le lis sur le Huffington Post, je le vois à la télé, je l’écoute (pas souvent) sur Europe 1, mais je ne l’ai jamais rencontré ni vu ni parlé et je ne doute pas que « dans la vraie vie, il est très gentil ». En revanche, dans la vie irréelle des internets, je le connais plutôt bien même si je n’ai aucune idée de son métier. Je l’imagine éditeur / journaliste / polémiqueur. Mais je crois surtout que son métier, c’est spécialiste. « Spécialiste de quoi ? », pourrait-on me demander. « Spécialiste sur le tas », comme le répondait Robert Bidochon à un présentateur télé l’interrogeant sur sa venue dans une émission de témoignage dans l’excellent album de bédé « Les Bidochons Téléspectateurs ». Internet, politique, immigration, santé, médecine, société, il n’y a pas un sujet sur lequel Guy n’a pas un avis. Et surtout un avis tranché et définitif. Un avis qu’il partage notamment dans une série qui s’appelle « Birenbaum bashe (remplacer ici par n’importe quel sujet d’actualité) ».

Son omniscience semble ne pas avoir de limite (oui, c’est redondant, je vous emmerde) : Marseille, Lampedusa, les vapoteurs, Montebourg, Facebook et j’en passe. MAIS surtout, il est systématiquement et TOUJOURS du côté de la veuve et de l’orphelin quel que soit le sujet (les homos, les électeurs, les malades, le contribuable, les enfants…), et avec un bon sens qu’il érige souvent comme une prise de position radicale. « Le Front National, c’est mal ! Et non, je n’ai pas peur ! J’ose le dire, et je l’ai déjà dit il y a un an et et il y a deux ans, m’en fous ! Rien à battre ». « Ceusses qui likent le bijoutier de Nice, c’est mal ! Eh ouais ! Et je vous unfollowe, et j’ai pas peur ! Et tant pis si je me fais des ennemis ». « Voler l’argent public, c’est dégueulasse ! J’dénonce, rin à péter ! ».

Je lui en veux pas, hein, chacun fait ce qu’il peut pour casser sa croûte, mais toute cette « saine indignation », comme disait ma grand-mère, ne pourrait-elle pas servir à élever l’âme de nos contemporains plutôt qu’à les diviser ? Quand on lit les commentaires, c’est systématique : il y a ceux qui étaient déjà d’accord avec l’auteur qui affichent leur contentements (façon « j’espère que ce très beau texte ouvrira les yeux aux racistes du monde entier ») et ceux qui étaient déjà contre et qui sont encore plus en colère qu’auparavant (façon « Et si c’était votre fils qui avait été le bijoutier de Nice ? »).

J’ai cité Guy, mais il n’est pas le seul. Il y en a un autre, peut-être pire, c’est Christophe Conte. Critique de disque devenu « chroniqueur bad boy » sur le blog des Inrocks, il rédige des « billets durs » où il ne se prive pas d’attaquer les personnes avec qui il est en désaccord. Il s’en prend même à François Hollande. Ça, c’est pour dire qu’il égratigne les puissants. Bon, c’est pour lui dire qu’on attend encore les résultats de l’élection de 2012. Mais quand même. Dans les faits, c’est pareil : de la diatribe agressive dont le but est de générer désespérément du trafic et qui, à la longue, fatigue. Ça fatigue parce que bon, comme l’a dit Maickel Melamed : « Etre en vie est la plus belle chose qui puisse vous arriver. Tirez-en parti, et partagez ça autour de vous ». Alors plutôt que de nous rappeler le merdier dans lequel on vit, Guy, Christophe, vous ne voulez pas nous élever ?

C’est flou

J’ai toujours exécré les blogueurs qui font des notes pour dire « Bon, j’ai changé la moquette, c’est plus joli. Comment vous trouvez maintenant ? ». Ensuite, en général dans le même post, ces blogueurs nous serinent avec des laïus pourris : « Maintenant, je vais pouvoir vraiment me consacrer à la rédaction de billets de fonds, une activité que j’avais mise de côté car je n’étais pas satisfait à 200% du design. Je n’ai plus de raison de procrastiner, LOL ». Genre, c’est parce qu’ils viennent de refaire la peinture sur les murs que d’un seul coup l’inspiration va leur revenir comme un 15 tonnes dans la gueule de Coluche.

Moi, je suis pas de ce genre de mec. J’ai pas refait la déco du blog, j’ai juste changé le thème. On pourrait appeler ça un changement de déco, mais c’est en réalité, c’est un changement en profondeur. Si j’étais un exécutif d’Apple, je vous dirais quelque chose comme : « C’est la meilleure façon qu’on a de surfer sur ce blog. Boum. It just works ». Enfin, bon. C’est pas moi qui ai codé le thème, je l’ai acheté à des gens qui savent faire (et non, c’est pas Upian qui s’en est chargé, même si j’aurais aimé, mais j’ai pas les moyens). C’est du « Responsive Design ». En gros, ça veut dire que ça va mettre plus de temps qu’avant à se charger sur ton téléphone portable. Ça s’appelle le progrès. Get used to it. Ça ne m’empêchera pas de ne rien poster comme avant. Mais ça me permet de tester toutes les nouvelles options de WordPress, et c’est totalement fascinant. Par exemple, on peut intégrer directement une vidéo :

Whaouhou.

Cette vidéo nous apprend des choses très intéressantes en plus. Par exemple, savais-tu qu’il fallait 2 heures pour télécharger l’intégral du Los Angeles Times en 1981. Quand tu penses où en est 30 ans plus tard, ça fout les jetons, non ?

Ce que j’aime le plus dans ce reportage (qui n’a d’ailleurs rien de neuf, puisqu’il est sur YouTube depuis 2008), c’est l’enthousiasme des mecs à la fin qui t’expliquent que « ça ne risque pas de rapporter de l’argent, mais vu que ça n’en coûte pas beaucoup… ». Eh bien une génération plus tard, le web ne rapporte toujours pas beaucoup d’argent. Mais à un détail près. Aujourd’hui, ça en coûte beaucoup plus qu’avant.

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Cahiers interdits (3) / Revenir au top

De 2011 à 2013, Gaston Petipetons était journaliste dans un magazine consacré à la télévision(1). Après son licenciement, il a disparu de la surface de la planète. Où ? Nul ne le sait. Quarante ans plus tard, en rangeant les affaires de son mari pour les mettre au grenier, sa veuve a retrouvé des cahiers qu’il rédigea tout au long de cette période et qui constitue un témoignage bouleversant sur le métier de journaliste au début de ce millénaire, à l’heure où la presse balbutiait sur Internet et où le modèle économique du « papier » périclitait lentement mais sûrement. Elle nous les a confiés. C’est ce que nous vous proposons de lire aujourd’hui.

Par respect pour son auteur, nous retranscrivons ces cahiers tels qu’ils ont été rédigés et dans l’ordre de leur écriture qui ne suit, semble-t-il, pas l’ordre chronologique des événements.

Que toutes les nouvelles générations de journalistes y trouvent ici un manifeste vibrant sur ce métier magnifique ainsi qu’une source d’inspiration pour l’avenir.

(1) la télévision était un support de projection (souvent familiale, installée dans le salon) qui permettait à tout un chacun de profiter de vidéos dans un ordre prédéfini par une série de producteurs regroupés ensemble sous l’appellation de « chaîne ». Un peu comme une liste de lecture sur YouTube aujourd’hui.

Le premier épisode.
Le second épisode.

Le boulot de journaliste

Lundi 23 avril 2012

Le journal est enfin sorti, je respire. J’ai quand même un peu peur de ce qu’il va se passer maintenant, mais au moins, la star a eu sa couverture.  Il y a deux mois, le chanteur en vogue K Ramel sortait un nouvel album. On a demandé une interview à la maison de disque et – comme d’habitude – un petit jeu de dupe s’est mis en place. Ça ressemble à du marchandage de tapis par téléphone. L’attaché de presse nous dit : « c’est ok pour l’interview, MAIS il fait la couverture du journal ». Alors, comme à mon petit niveau, j’ai aucune marge de manœuvre, je dois aller voir la chef dans son bureau qui dit en général : « C’est nous qui décidons de la couverture, pas eux ». Alors, je reviens au téléphone, je bafouille du : « Oui, non, peut-être, vous comprenez, c’est difficile de s’engager ». Alors, l’attaché de presse répond : « Très bien, pas d’interview ».  Conséquence, je retourne dans le bureau de la chef. Et ainsi de suite. Souvent, j’ai envie de dire à l’attaché de presse : « Appelle ma chef, elle te dira », mais la chef n’aime pas répondre au téléphone. Son objectif à elle est simple : avoir l’interview sans promettre la couverture. L’objectif de l’attaché de presse est simple : avoir la couverture. Mon objectif est simple : ne pas me faire virer.

Finalement, ma chef accepte la couverture. Enfin, c’est pas très clair, elle a pas vraiment dit « oui », on m’a surtout demandé de mentir pour avoir l’interview. On organise tout de même une séance photo  pendant laquelle il y a bataille entre le photographe et moi : je veux 45 minutes d’interview, mais le photographe veut deux heures pour les photos et on a l’artiste pour une heure et demi.

Après des palabres interminables, j’ai mon interview, on a les photos (reste encore à les faire voir à l’artiste pour validation) et, roule ma poule, tout est bon pour la couverture du numéro 1853. Cool, cool, cool.

Patatatras, l’artiste en question publie sur son compte Twitter une demi-heure après la séance photo : « Je fais la couverture du prochain magazine machin ».  Ce faux-pas devient le prétexte idéale pour ma chef : « On ne fera pas la couv sur lui ». Parce que dans la presse magazine comme la notre, on est à couteaux tirés sur les couvertures. C’est la clef de voûte de tout notre système. Et c’est un secret jalousement gardé par chaque titre. Une information confidentielle au plus haut point. Si un concurrent connaît notre couverture, c’est comme si Al-Qaeda avait vent des prochains tirs américains au Pakistan.

Finalement, avec trois semaines de retard (et quelques engueulades avec les attachés de presse), on décide tout de même de faire la couverture avec K Ramel. J’écris l’interview, je donne mon texte, je le réécris, il est validé et passe en maquette.

Pendant ce temps, ma chef, le directeur artistique et le rédacteur en chef adjoint cogitent sur la couverture. J’aime pas trop ça, car du coup, je suis en première ligne d’infanterie : une connerie, une erreur, quoi que ce soit, c’est pour ma gueule. Alors, quand on me convoque pour discuter de la phrase d’accroche, je suis dans mes petits souliers.

  • Gaston, tu peux venir ?, me demande-t-on
  • J’arrive. Oui ?
  • Qu’est-ce qu’il t’a dit K Ramel dans l’interview ?
  • Bah, pleins de trucs. Mais bon, j’ai quasi tout mis.
  • Dans tes chutes, il y a : « Je me suis battu pour revenir au top ! » ?
  • Je crois pas, non. Je vais vérifier.

Je retourne à mon bureau, réécoute l’interview. Vaguement à un moment, j’ai : « J’ai énormément bossé ces dernières années ». Je reviens, je le propose, mais ça grimace.

  • T’es sûr qu’il a pas dit : ‘Je me suis battu pour revenir au top’ ?
  • Bah non…, je réponds.
  • Mais c’est ce qu’il voulait dire, non ? C’est dans l’interview en filigrane ?
  • Oui, on peut dire ça, oui. Mais je lui ai pas demandé s’il s’était battu pour revenir au top.

Finalement, on me dit de changer une phrase de l’interview pour glisser cette réponse. Je change mon texte et j’écris : « J’ai beaucoup bossé pour renouer avec le public », je le donne à relire à ma chef, toujours au bureau du directeur artistique, affinant l’angle d’inclinaison de la police de l’accroche (un magnifique enculage de mouche qui doit changer drastiquement le nombre de vente).

  • Gaston, non. K Ramel a dit : « Je me suis battu pour revenir au top ». Donc, je veux que tu écrives : « Je me suis battu pour revenir au top ».
  • Mais, j’ai réécouté tout l’interview et à aucun moment il ne le dit.
  • Je ne te demande pas de réécouter l’interview. Je te dis qu’il l’a dit. Et maintenant, tu vas l’écrire.

couv