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Auteur/autrice : Romain

Mes parfaits voisins

Ah, ce merveilleux monde de la presse et du journalisme. Vous aviez remarqué qu’il ne manque qu’un « a » entre « presse » et « paresse » ? De là à dire que tous les journalistes sont des fainéants, il n’y a qu’un pas que je vais m’empresser de ne pas franchir. Ainsi (oui, je sais, il n’y a aucune justification à l’emploi d' »ainsi », mais je ne trouve aucune transition satisfaisante et puis tu m’emmerdes, c’est mon blog, à la fin). Ainsi, donc, je suis abonné à Libération depuis presque un an, je crois. Et depuis trois semaines, mon journal disparaît régulièrement de ma boîte aux lettres. Au début, j’accusais sans trop savoir ces salauds de grévistes qui veulent le beurre, l’argent du beurre, le cul de la fermière et son fouet avec. C’était déjà arrivé six mois auparavant, mais ma boîte aux lettres ne fermait pas et j’avais pensé que certains habitants de mon appartement me le fauchaient. Mais depuis un joli cadenas fermait son ouverture et donc rien n’y personne ne pouvait choper mon courrier.

Sauf que. Sauf que le gentil livreur de Libération qui passe vers les six heures trente va très vite et le journal a une tendance à dépasser. Un petit malin pouvait très bien récupérer le journal s’il passait avant moi avec deux doigts assez fins.

Au bout du troisième « oubli de livraison » ou « vol aux deux doigts », je me suis dit : « Nom de nom, ça suffit bien maintenant ». Et j’ai préparé mon plan. Première étape : envoyer un mail au service abonnements du journal et demander poliment à ce que le livreur pousse un tout petit peu le Libé dans la boîte. Seconde étape : recherche d’empreinte. J’ai fait venir NCIS et CSI, mais ils n’ont pas été foutus de retrouver d’autres empreintes que les miennes. « Toutefois », note le rapport, « on décèle des traces d’ADN animal en cours d’identification ». Mais moi, j’ai autre chose à foutre que d’attendre qu’un laboratoire fasse des tests. J’ai donc décidé d’agir et de vérifier a. mes allégations et b. y a pas de b.

J’ai installé une mini caméra en face de ma boîte aux lettres et j’ai découvert ce qui se passait : tous les matins, vers 7h30, un voisin d’un bâtiment concurrent, le A, (il y a trois bâtiments dans l’immeuble où j’habite et une guerre latente entre chaque) arrive dans la cage d’escalier avec sur les épaules un chimpanzé dressé. L’homme se penche à droite et à gauche des casiers pour vérifier que personne ne le surveille et alors son chimpanzé prend le relais.

« Ouistiti », on l’entend dire, « prend le Libération dans la boîte aux lettres du beatnik et tu auras une banane ». Et Ouistiti se dirige vers mon casier, en extirpe le Libération et le donne à son propriétaire qui s’en saisit et se casse avec.

L’enfoiré, je me suis dit. Et j’ai élaboré ma revanche. J’ai attendu six heures trente, j’ai vu le livreur, j’ai pris le journal et j’ai glissé à l’intérieur une tapette à souris. Ensuite, j’ai remis très délicatement le Libé dans la boîte aux lettres, le laissant ostensiblement dépassé. Je me suis caché dans le local à poubelle pour prendre mon voleur sur le fait. Quand 7h30 est arrivée, j’étais excité comme une puce. Je scrutais par la porte-fenêtre et d’un coup, j’ai vu le chimpanzé arriver. L’homme était derrière, un chapeau et un long imperméable. L’homme a demandé à Ouistiti de lui prendre le journal, le singe s’est approché de la boîte aux lettres, il a reniflé le journal, il avait l’air méfiant, il a touché le journal, une alarme a retenti, j’ai sauté hors de ma cachette en pointant un doigt accusateur vers le voisin-voleur quand mes pieds ont d’un seul coup décollé du sol, je me suis envolé à trois mètres de hauteur, attrapé dans un filet. J’ai alors vu tous les habitants du bâtiment A sortir. Ils ont fait basculer le filet et m’ont attaché les mains avec une grosse corde d’alpiniste.

Puis l’un d’eux, le leader ?, a saisi un mégaphone : « Hey ! Vous autres du bâtiment C, on a chopé l’un de vos résidents ! Si vous voulez le revoir, il faudra cracher ! »

– C’est qui que vous avez chopé ?, a répondu une voix de l’autre côté de la cour.
– Le mec du rez-de-chaussée.
– Celui de droite ou de gauche ?
– De gauche.

La voix s’est tue et on a entendu les bouteilles de champagne se déboucher. Le leader s’est penché vers moi : « eh bien dis donc, toi, tu sais te faire apprécier ». Et j’ai senti mon sang couler.

Rhin en commun

« Quand j’entends Wagner, j’ai envie d’envahir la Pologne », disait Woody Allen. Ce à quoi Wagner répondait : « C’est pas un juif new-yorkais même pas né qui va m’apprendre à faire de la musique ». Car oui, Wagner était antisémite. Mais il faut ajouter quand même qu’à son époque, c’est plutôt l’inverse qui était rare. D’ailleurs, on rapporte que la seule population qui n’était pas antisémite s’appelait « les Juifs ». Wagner était un peu fou aussi. Après avoir composé L’Or du Rhin, il a écrit à Liszt des choses aussi étranges que « jusque-là mon être s’était maintenu parce que les deux éléments antagonistes du désir arrivaient à s’équilibrer en moi ». Je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire, mais L’Or du Rhin est à tout point de vue un opéra magistral, écrit moitié à l’encre moitié au Panzer.

Je te raconte en deux secondes. Si, si, ça t’intéresse.

Les trois filles du Rhin surveillent l’or du Rhin. Mais « surveiller » pour ces nymphes, ça veut dire surtout dire « nager et sautiller dans l’eau ». Et pendant qu’elles jouent les Muriel Hermine, voilà que débarque le nain Alberich (qui vient du Nibelung). Il s’entiche des filles, tente une connexion avec Chatroulette… mais l’une après l’autre, les trois garces cliquent sur « Next ». Courroucé par tant de mépris, Alberich vole l’or pendant que Wellgunde coiffe Woglinde qui regarde Flosshilde lire le blog de Perez Hilton. Parce qu’avec l’or, il peut faire un anneau qui le rendra super super suprapuissant. Mais pour le forger, il doit renoncer à l’amour. C’est le prix que coûte cet or. Mais comme c’est un nain très moche, il renonce à l’amour. Cut.

Scène 2, acte 1. Wotan glande tranquille avec sa femme Freiza, il attend que Falstof et Fafner, les deux géants verts qui bouffent du maïs aient fini de construire son château. Pour les remercier d’avoir bien bossé, il leur a promis (comme un con) Freia, la gardienne des pommes de l’éternelle jouvence. Autant dire que perdre les pommes quand tu es un dieu, c’est un peu comme si tu étais Superman et que tu te baladais avec un collier en Kryptonite. Quand les deux géants demandent Freia en paiement, Wotan appelle Loge, le demi-dieu du feu et très fort en fourberies, pour lui demander de négocier un autre prix avec Fafner et Fasolt. Ce que Wotan ne sait pas (car il n’est décidément pas ultra-malin), c’est que Fafner et Fasolt (enfin, surtout Fafner, mais si je rentre dans le détail, je vais t’embrouiller, je le sens), veulent détruire les dieux. Et c’est pour ça qu’ils veulent Freia. Car sans les pommes, les dieux dépérissent. Du coup, il est difficile de trouver quoi que ce soit d’équivalent. Mais, Loge a une idée trop maligne : il a rencontré les filles du Rhin qui ont tout balancé sur Alberich, et qui réclament qu’on leur rende l’or. Du coup, il propose aux géants le trésor d’Alberich, puis d’en profiter pour choper l’anneau et la rendre aux filles du Rhin. Pouf, tout est bien qui finit bien.

Loge et Wotan partent dans le Nibelung, rencontre Alberich (qui est devenu un vrai connard à cause de l’anneau et un heaume magique qui le rend invisible), le capture et lui dérobe son trésor, son anneau, l’or du Rhin et le heaume. Tout, en quelque sorte. Le nain, il ne lui reste même plus un slip propre. En sortant, les géants reviennent et acceptent de troquer Freia contre tout le trésor (ce qui inclut l’anneau et le heaume). Mais Alberich a maudit l’anneau quand il l’a perdu. Du coup, Fafner terrasse Fasolt qui voulait garder l’anneau pour lui tout seul. Le con. Wotan (qui le voulait aussi au départ, mais qui a eu une vision lui conseillant de lâcher l’affaire) lance un terrible : « Je crois que cet anneau est vraiment maudit » (il faut dire que le type est assez lent) (même s’il est un dieu). Puis il va chercher sa femme et les autres et ils vont dans le château construit au début, parce que maintenant qu’il a payé, les géants lui ont refilé les clés. Château qu’il baptise Walhalla. Fin.

Ainsi, il y a moins de deux heures trente, j’étais à l’Opéra Bastille en train de descendre les marches de l’orchestre pour accéder à mon siège, et j’ai découvert dans le public quelque chose que je connaissais mal, la grande bourgeoisie en représentation, comme dans un récit du XIXe siècle. En effet, derrière moi, il y avait un grand patron français issu de l’une des deux cents familles de notre pays qui possèdent 80% des richesses. Jusqu’ici, quand je suis allé à l’opéra, j’ai bien vu que le public était plutôt issu des classes sociales élevées (ça, c’est juste pour ne pas écrire « pété de thune »), mais semblait (en tout cas, autour de moi) venir par plaisir.

Or, cette rangée derrière moi ne semblait pas être là pour venir voir l’opéra, mais par obligation, parce qu’il fallait venir voir ce spectacle. C’est déjà assez consternant de découvrir que Pierre Bergé a lancé un genre de souscription « Les Amis du Nibelung » (non, il n’a pas osé : ça s’appelle en réalité « le cercle des amis du Ring ») que tu paies (très) cher (c’est mieux) et comme ça, on te garantit les meilleures places quelle que soit la représentation (place déjà hors de prix), mais encore faut-il se fader toute cette grande bourgeoisie venue parader en costume cravate sur les meilleurs fauteuils.

Donc, derrière moi, ce grand patron (alors je sais pas de quelle boîte, hein, je le dis tout de suite, mais c’était un gros bonnet, j’ai le nez pour ça) était donc installé face à la scène avec sa femme, l’amant de sa femme, l’épouse de l’amant de sa femme, et sensiblement tout les membres du conseil d’administration qui venaient les uns après les autres lustrer cinq minutes les chaussures du grand chef. Quand l’opéra a commencé, ce dieu de l’industrie a bâillé, sa femme a oublié d’éteindre son portable (qui a sonné bien entendu) et les gens du conseil d’administration se jetaient des regards noirs pour savoir lequel allait le premier sauter sur Gros Bonnet dès le spectacle fini afin de lui faire part de son impression.

Et la, grosse révélation pour moi : le grand patron au centre pour ces tontons mafieux, c’est leur Justien Bieber, je te jure. Ils se massacreraient pour lui dire bonjour, avoir sa photo ou lui parler. Je suis même sûr qu’un des mecs du conseil d’administration s’est promis qu’il ne se laverait plus la main depuis qu’elle a effleuré celle de Gros Bonnet. Lorsque le rideau s’est abaissé, Gros Bonnet a commencé à regarder avec une intensité rare son iPhone pendant que les spectateurs anonymes applaudissaient. C’est alors que Lèche-Cul Premier a surgi devant lui tandis que Lèche-Cul Second se mordait intérieurement très fort la lèvre supérieure tout en écrasant les phalanges de la main gauche de son épouse qui arborait un sourire factice de composition.

« Alors, alors, alors, euh, j’veux dire, euh, alors, alors, euh, j’veux dire, euh, vous avez aimé, vous ? euh, j’veux dire, le spectacle, parce que, euh, vous, vous en avez quand même vu beaucoup, vous, des Ring, hein, n’est-ce pas, hein ? mes respects, m’sieur », a bafouillé Lèche-Cul Premier. Gros Bonnet a souri en levant un sourcil et a dit : « oui, oui, très bien ». Il s’est levé, il a claqué des doigts vers sa femme, et il est parti.

À cet instant, j’ai bien vu qu’il portait à l’annulaire un anneau forgé en or. Et que tout le conseil d’administration que j’avais cru jusque-là fasciné par Gros Bonnet n’avait en réalité d’yeux que pour son précieux.

Les Grandes erreurs du marketing (10)

Quand on descend la rue de Gaîté, on passe devant un sex-shop où on lit en grandes lettres dorées : « Du distributeur au consommateur ». J’imagine que le gérant pense qu’on se dit qu’on s’y retrouve niveau fric. Est-ce que c’est vraiment vendeur pour des cabines de projection avec « un choix de 3000 films pour un euros » ? J’ai des doutes.

Mais de toute façon, aujourd’hui, je vais vous parler yoghourt. C’est peu de le dire, mais s’il y a un endroit où le marketing sait faire des ravages, c’est bien dans l’industrie agroalimentaire du lait caillé. Et les yaourts sont, à ce titre, les champions toutes catégories. Et vas-y que je te fous du bidifus actif dedans et que si tu en bouffes des plâtrées entières pendant six mois, tu vas plus te reconnaître tellement t’auras la tronche d’un type qui a passé quatre ans dans Koh Lanta. Pis, y a l’autre, là, le lait ultra-concentré qui « renforce nos défenses naturelles » et qui empêche mamie d’attraper la grippe (aviaire ou pas). N’oublions pas non plus les magistrales Mousses de crème et autres Perles de lait, une véritable leçon.

C’est fou, le yoghourt, je crois que je pourrais en parler des heures, si ce n’est des années.

Or, donc, et par conséquent, tout à l’heure, j’étais à l’intérieur du Monoprix de Montparnasse en train de faire mes courses. Je t’ai dit ? Un jour j’y ai croisé le sosie (ou était-ce lui ?) de Domenech ! Véridique. Enfin bon, j’arrive au rayon des yaourts et, là, je suis comme d’habitude assommé par le choix délirant : un nombre de variétés qui se compte à mon avis par milliers.

Je m’élance tel un seul homme et me saisit d’une boîte de quatre pots d’Activia saveur Vanille. Activia, c’est Danone, c’est celui avec le bifidus actif dedans, d’ailleurs. Sur le côté du paquet, écrit en très gros, je lis :

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Voilà une bonne nouvelle ! Oui, parce qu’il faut savoir que si le yaourt fait autant de bien à l’organisme, il fait beaucoup plus de mal à la planète avec ses emballages poisseux et pire encore ses suremballages.

Le champion dans la catégorie, je crois que c’est Bonne Maman avec sa collection de biscuits (tartelettes, madeleines…) : chaque gâteau est minutieusement emballé sous un film plastique. Une véritable leçon de développement durable.

Mais revenons à mes yaourts : Activia supprime ainsi ses suremballages « sur les lots par 4 ». « À la bonne heure », je me dis, « la pratique du suremballage permettait principalement aux gens de ne pas découper les yaourts pour n’en prendre que deux et demi, ils ont dû se dire que ce n’était plus la peine, mais bon ils les laissent sur les paquets de huit, quand même, on n’est jamais trop prudent : si ça se trouve, un con pourrait casser un paquet de huit pour en faire un de six et un de deux ». Ma réflexion faite, je glisse le lot dans ma panière et je jette un œil rapidement sur le renvoi après l’annonce, juste derrière le « 4 ». Et je lis :

* Sauf sur les lots conservant leurs suremballages

Les bras m’en sont tombés, Monsieur Jourdain. Activita supprime les suremballages de ses lots de quatre sauf quand elle ne les supprime pas. L’intérêt de cette précision dépasse à mon sens l’entendement de l’intelligence humaine et il faut être ou très con ou s’appeler Morandini pour que cela puisse ne serait-ce que sembler un minimum pertinent. Mais, ça ne s’arrête pas là. Juste après, une seconde précision tout aussi utile :

* Sauf sur les lots conservant leurs suremballages et sur les lots existants déjà sans suremballage.

On ne saurait mieux dire. Si cette précision a très certainement une raison d’être légale, on se dit qu’atteindre ce degré de connerie dans l’enfoncement de portes ouvertes n’est pas donné à tout le monde. Et je comprends mieux pourquoi il faut faire de grandes écoles prestigieuses et ô combien coûteuses pour atteindre ce nirvana de la réflexion et toucher du doigt le Walhalla du marketing : la joie de prendre le reste de la planète pour des abrutis.

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Océans : Foirage Total

Autant l’avouer, même dans mes rêves les plus fous, je n’ai jamais imaginé avoir aussi peu d’idée pour écrire pour mon blug. Il faut dire qu’en ce moment, j’ai la présence d’esprit d’un pit-bull, alors forcément, ça n’aide pas. Tiens, la semaine dernière, par exemple, j’ai rêvé que j’étais dans le métro qui va vers Villejuif, dans un wagon chargé de toxicos (ce qui est complètement con parce que les toxs vont plutôt à Marcadet Poissonniers ou Max Dormoy) dont certains étaient piqués au cou (genre, des vampires, quoi), et qu’ils n’étaient pas vraiment super open à l’idée que je descende de la voiture. Tu parles que ça aide pour avoir envie d’écrire des trucs.

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Hier, en revanche, je suis allé voir Océans (Ocheunns, comme je l’ai dit à la caissière parce que je suis très malin). Ce chef d’œuvre de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud nous montre pendant une heure et demi de la bouffe à l’écran. J’adore les films d’ambiance avec de jolies images devant le nez, encore faut-il qu’il y ait une trame scénaristique un tout petit peu consistante, d’autant que là, ils s’y sont mis à sept pour l’écrire. Autant le dire de suite : on ne trouve pas l’ombre du début du commencement de la moindre conception d’embryon d’idée dans la succession d’images du film. Ça commence par un reptile qui monte sur un caillou après qu’on a vu des rouleaux de vagues successifs s’écraser sur la côte, une ribambelle de gamins qui court dont un aux cheveux blonds et au teint pâle qui s’arrête face à la mer et la voix off commence : « Mon petit-fils, qui est un peu génial sur les bords, m’a posé cette question géniale elle aussi : ‘papy, mais qu’est-ce que c’est que l’océan ?’ L’océan, l’océan, comment te répondre mon petit, c’est tellement vaste comme question que… non, non… ne dis rien, je… comment dire ?… j’ai mal à ma mer ». Je crois que c’est après que débute le générique, générique qui consiste en une longue liste de sponsors et de participations dont (tiens toi bien) la Fondation Total. Non mais QUOI DE MIEUX pour s’acheter une conscience verte que de participer à un film sur le littoral breton ? Et bien rien. Quand arrivera l’histoire de l’homme dans la narration (comme toujours, ces films disent : la nature, c’est beau, l’homme fait caca dedans, la nature meurt), on aura le droit à une superbe vue satellite des côtes (il se trouve que l’agence spatiale française a filé des images, et il aurait été terriblement triste de ne pas s’en servir quand même) avec les ravages de la pollution : « L’homme, ce salopard fini à la pisse, pourrit les fleuves avec sa pollution, et ce poison coule dans les veines de l’océan » et pas un mot, PAS UN MOT (je gueule parce que ça m’agace fortement), PAS UN MOT, donc, sur les marées noires.

Mais, en revanche, l’ami Jacques nous explique quelques minutes après que lorsque l’océan se démonte et se déchaîne et que l’homme sur ses frêles embarcations doit lutter contre lui, parfois, et c’est triste, mais parfois, le bateau est emporté par une lame de fond, bateau qui heureusement deviendra un squat à poiscailles. C’est qu’on va quand même pas se mettre à dos un si gentil actionnaire.

Ça sent que ça me révolte ? J’ai des combats nobles, pour sûr. Ensuite, Jacques arrive, prend la main de son petit fils, l’emmène dans un genre de musée d’histoire naturelle artificiel où des orques, des épaulards, une baleine, des phoques, et des tas d’autres bestioles sont empaillés. Et là, dans un élan de dénonciation extravaguant, on voit chaque animal et Perrin nous dit : « exterminé, exterminé, lui aussi exterminé, et lui ? exterminé, ça aussi, il faudra que je lui dise [à son petit-fils] » et pouf, un plan du petit fils avec en contre-plongée son papy qui lui tient la main par l’épaule (à la relecture, je pense que je voulais dire « qui lui pose la main sur l’épaule »).

Non, vraiment, c’est très fort comme film. Par la suite, l’ami Perrin nous emmène au pôle sud et nord, pour nous causer deux minutes de fonte des glaces. On voit un ours polaire de loin qui a faim, alors dans la salle on est triste (c’est vrai que la famine, ça ne touche que les animaux), puis il nous raconte qu’on peut vivre en harmonie avec les animaux, qu’il y a même des gens qui « explorent les fonds marins avec respect », texte agrémenté de plongeurs qui font chier des mérous et qui prennent des notes genre : « oui, c’est bien un mérou ». Et pour finir, on revoit encore des baleines, puis des dauphins qui dansent la farandole, et on termine par le même reptile qu’au début et j’avoue qu’on ne comprend pas bien pourquoi mais Jacques, lui, il s’en fout, il a une mission.

Et, tiens, j’avais oublié, ça, mais il faut en parler : les bruitages (je ne parlerai pas de la musique atroce de Bruno Coulais – que le diable te maudisse). Qui a déjà foutu la tête sous l’eau sait parfaitement que quand un poisson passe à côté de toi, le poisson fait « fischhhhhhhhhhhhhh », s’il recrache de l’eau par ses branchies ça fait « bloup bloup », si un crabe marche sur le sable à quinze mètres de profondeur ça fait « krsch krsch krsch krsch » et si une araignée de mer rampe sur une autre araignée de mer ça fait « tchik tchik tchik tchik tchik ». Merveilleux.

À minuit trente, avec toutes ces belles images dans ma tête, j’étais ému aux larmes, je rentre dans le wagon de la ligne 4 qui part vers Tombouctou (Montparnasse, quoi), et j’ai dû descendre à Saint-Placide car un type alpaguait un mec à côté de moi promettant « qu’il allait le suivre quand il sortirait du métro et qu’il allait lui casser la gueule ». Comme je ne suis ni courageux et encore moins téméraire et que le type se tournait vers moi et m’interpellait : « mon frère, toi, t’es sympa, tu m’réponds, pas comm’l’aut’enculé d’sa race, je vais lui marave sa tête de connard », j’ai jugé plus malin de remonter la rue de rennes plutôt que de risquer quoi que ce soit. Ou alors était-ce un rêve ?

Les Grandes Erreurs du Marketing (9)

Je ne suis pas le seul à m’en être aperçu, je me demandais juste si c’était réellement une erreur. Ça me paraissait trop gros. Voyez donc cette très belle image promo du Petit Nicolas :

Petit Nicolas

Voilà, alors comme ça, on se dit que le décorateur a fait un joli boulot de reconstitution, qu’il n’y a pas le moindre doute que nous sommes dans une jolie France ripolinisée qui sent bon le formica et de Gaulle quand soudain un détail attire notre regard : la plaque d’immatriculation « 708 JXJ 75 ».

D’abord, même dans les années soixante, je ne vois pas trop où ils ont trouvé ce genre de pavillons de banlieue à Paris, mais bon après tout peut-être que le papa du Petit Nicolas a préféré s’immatriculer à la capitale pour finalement vivre à Palaiseau ou au Vésinet ou peut-être est-ce une voiture d’entreprise, que sais-je encore ?

Ensuite, une autre question turlupine le connard que je suis : y avait-il déjà des plaques minéralogiques à trois lettres à l’époque ? C’est fort possible vu que je ne suis vraiment pas un expert sur le sujet, mais certains sont très très calés, eux. En cherchant un peu sur internet (parce qu’il semblerait que décemment je n’ai rien d’autre à foutre de mon samedi matin), on tombe sur des fous furieux : une association de collectionneurs de plaques d’immatriculation, Francoplaque.

Et sur leur site, on trouve un historique de la nomenclature française. Si c’est pas ma chance, ça ! Alors, en fouillant plus en détail, on apprend qu’à partir des années cinquante, les plaques sont numérotées sous la forme de chiffres (de un à trois pour tous les départements, sauf Paris où la plaque pouvait être composée de quatre chiffres – les choses évoluent par la suite) puis de lettres (une, deux puis trois – à ce moment-là, on revenait à un maximum de trois chiffres pour ne pas avoir plus de huit caractères sur la plaque) et enfin du département (une foule de détails captivants est à découvrir sur leur site). Mais la grande question restait en suspens : quand donc à Paris a-t-on eu la première plaque avec trois chiffres et trois lettres ? Et ce merveilleux site m’a fourni la réponse sur une autre page qui répertorie pour chaque année la première immatriculation par département (des fous, je vous dis).

Bingo : la circulaire qui autorise l’immatriculation à trois lettres date du 3 janvier 1972 et, à en croire un tableau soigneusement renseigné, c’est entre 1974 et 1975 qu’apparaît le premier 1 AAA 75 (qui fait suite au 9999 ZZ 75). Si l’on poursuit l’investigation (digne d’un Derrick), c’est entre 1992 (341 JSP 75) et 1993 (319 KEK 75) qu’a pu être donné un tel numéro à une plaque minéralogique. Puisque théoriquement, les histoires du Petit Nicolas se déroulent « dans une France de la petite bourgeoisie du début des années soixante », on peut sans se tromper en conclure avec un plaisir inouï et un sourire ravi qu’il s’agit bien d’une grosse bourdasse de l’accessoiriste et ranger cette photo dans ma collec’ des grandes erreurs du marketing.

Bon… et si j’allais faire quelque chose de ma vie, maintenant ?

L’Atalante (Paris Cinéma)

De temps à autre, on a un peu de chance dans la vie et c’est plutôt cool. Ainsi, j’ai reçu un passe pour le festival Paris Cinéma sous le titre de « blogueur » (la responsable m’a expliqué que c’était parce que j’étais dans la liste des liens de Sskizo, donc merci Nora).

Bon, c’est pas que je veuille faire des posts sponsorisés, mais du coup, j’ai quand même un peu envie d’en parler. Notamment aujourd’hui car je me suis rendu à la projection de L’Atalante de Jean Vigo. Ce film, ça fait un peu quinze ans que je veux le voir, mais le problème, c’est que je ne voulais pas le voir à la télé mais au cinéma et j’avais été découragé par la version DVD en plus, comme je vais te l’expliquer si tu as le courage de me lire.

Car, à toute projection de L’Atalante, une question reste en suspens : quelle version va-t-on voir ? Parce que L’Atalante, c’est un peu notre Metropolis français, personne ne sait vraiment à quoi il ressemble. Le film est tourné en 1934, Jean Vigo a alors 29 ans, tombe malade et ne peut plus bouger de son lit. Le monteur, Louis Chavance, lui présente un montage final qu’il approuve presque totalement. L’œuvre arrive ensuite chez Gaumont (qui finance), mais la société de production réclame des coupes et des modifications pour en faire un film plus commercial (par exemple, on remplace la musique originale par une chanson à succès de l’époque : Le Chaland qui Passe). Le producteur du film, Jacques-Louis Nounez, est contraint d’accepter, Vigo ne peut plus rien dire, mais n’est pas content (et surtout meurt). L’Atalante remonté par Chavance sous les ordres de Gaumont est présenté dans un cinéma, Le Colisée sur les Champs-Élysées, sous le même titre que la chanson : Le Chaland qui passe.

Trois semaines plus tard, l’exploitation du film s’arrête. De nouvelles versions sont reprises, puis Henri Langlois, l’initiateur de la Cinémathèque française tente une restauration en 1950 à partir du second montage.

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Bref, c’est le bouillon et le film semble totalement perdu. En 1989, Gaumont lance une grande opération pour restaurer L’Atalante (pour la bonne raison qu’elle va en perdre les droits) et commissionne Pierre Philippe (auteur, critique et spécialiste du film ancien) et le jeune Jean-Louis Bompoint (réalisateur et cinéaste) pour s’y coller. Luce Vigo, fille du réalisateur, est aussi de la partie. L’année suivante, Bompoint trouve un tirage du premier montage de 1934 au British Film Institute. Armés des huit bobines de la BFI, des montages précédents de Gaumont et des notes de travail ainsi que de nombreux interviews des « survivants » de l’équipe, les deux hommes achèvent la restauration et le film est montré à Cannes la même année.

Mais cette restauration (dont on notera que le générique « refait » parce qu’inexistant est signé Michel Gondry) ne plaît pas à tout le monde. Elle fait des grincheux. Cependant il est difficile de démêler le faux du vrai entre les deux parties. Bompoint juge qu’il s’agit d’une bande de frustrés de ne pas avoir participer à la restauration. À la lecture de ses articles, nombreux et documentés, on aurait tendance à le croire. De l’autre côté, les détracteurs reprochent un excès de zèle aux deux restaurateurs et principalement d’avoir rajouté des plans à la version « quasi-parfaite » de 1934 trouvée au BFI uniquement « pour en montrer le plus possible ». L’un des plans critiqués est celui (incompréhensible) de Jean qui lèche un bloc de glace (Bompoint explique qu’il ne voulait pas le mettre mais que Philippe a eu le dernier mot).

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En 2000, une nouvelle restauration est mise en branle sous la houlette de Bernard Eisenschitz (critique et historien du cinéma) auquel la Gaumont remet les ciseaux. Ce dernier, soutenu par une caste de l’intelligentsia du moment qui n’a de cesse d’analyser le moindre détail de chaque plan du film en cherchant à la moindre chiure de mouche à l’écran une explication littéraire et / ou antique, décide de revenir à la version de 1934 du BFI mais en laissant quelques plans et parti-pris de la version de 1990 (principalement pour justifier à nouveaux que la Gaumont conserve les droits pour la future édition DVD). Parmi cette caste, il y a Bernard-Henri Levy ce qui suffit à mon sens à jeter le discrédit sur tout le travail effectué.

Cette dernière version est ainsi celle du DVD et l’unique disponible au cinéphile. On peut d’ailleurs voir les modifications commentées par le restaurateur de 1990 ici.

Bon, et alors, c’était quelle version à Paris Festival ? C’était la version de 1990 ! Et j’étais super content parce que c’est celle que je voulais voir tant j’avais été convaincu à l’époque où je pensais acheter le DVD du bien-fondé de la démarche de Bompoint à la lecture de son site.