Il y a un an, pile-poil ou presque, je vous racontais en long en large et en travers les tribulations d’un nain, Alderich, et des misères que lui procuraient un anneau et un heaume qui permettait de se métamorphoser en tout et n’importe quoi. C’est par ici. Or, depuis, j’ai vu la suite des aventures trépidantes de la tétralogie de Wagner et je m’aperçois que j’ai arrêté mon entreprise de vulgarisation et je sens que ça vous manque. Si, si, je le sens.
Alors, sans plus attendre, je m’encourage moi-même à continuer, conscient que je suis de l’angoisse dans laquelle vous vivez depuis plus d’un an dorénavant. Mais d’abord, revenons au commencement.
La tétralogie de Wagner est un (long) opéra en un prologue et trois jours, ce qui se traduit en réalité par quatre opéras : L’Or du Rhin, La Walkyrie, Siegfried et Le Crépuscule des Dieux. Respectivement : 2h30, 3h30, 4h00 et 4h30. C’est l’apothéose de l’opéra par excellence. C’est aussi ce qui a tué toute tentative de créativité par la suite (j’exagère à peine).
Wagner y a réfléchi et travaillé pendant plus de trente ans d’abord pour l’amour de l’art avec un grand A, mais aussi pour mettre sa famille à l’abri du besoin (parce que la vie de Wagner a pas mal alterné entre la misère la plus totale et la grande vie à la Frédéric Beigbeder, enfin c’est ce que je crois avoir lu dans Cosmo, mais je ne me rappelle plus bien).
Comme il l’écrivait à son mécène, Louis II de Bavière (qui finança en grande partie son théâtre à Bayreuth) : « Il s’agit d’un grand et dur travail […] Le dernier développement très poussé du deuxième acte m’a en particulier fasciné d’une manière telle qu’il m’a souvent fallu m’arrêter dans le ravissement ».
Quoi qu’il en soit, L’Anneau du Nibelung, le nom de la tétralogie, a poussé sur les cendres des légendes germaniques. Je ne sais pas si Wagner avait en tête que le monde entier serait rapidement familier avec les grands contes allemands (et après tout, il s’en est fallu d’un cheveu qu’il en fût ainsi) ou si c’est d’avoir différé et reporté l’écriture du livret, toujours est-il que de but en blanc, quand on commence à lire la tétralogie, c’est quand même pas mal confus.
Et qu’on rajoute des trucs au milieu, et que finalement c’est un demi-homme et pas un demi-dieu, et que le dieu, là, c’est finalement le demi-frère de la sœur de l’autre… Plus on lit le bazar, plus s’ajoute comme ça des petites touches au tableau. Finalement, on termine la lecture de l’œuvre avec un gros mal de tête, surtout si on n’est pas germanophile et qu’on se perd un peu entre les Whillem, Wilhem ou Wihlem.
C’est pour cette raison que je me suis lancé dans ce grand travail de mise à plat de l’Anneau du Nibelung. Pour que plus jamais ça, en somme.
Afin de vous faire vivre tout de même l’œuvre de l’intérieur, j’ai pris la grande décision de me la jouer Wagner et de ne préciser les éléments de l’histoire qu’au moment où ils sont évoqués dans le livret. Ce qui, je vous le dis tout de suite, ne simplifie pas la tâche.
Mais avant de commencer, il faut se rappeler deux choses : a. les dieux sont de sacrés queutards ce qui a pour conséquence principale qu’il n’y a à peu près aucun personnage qui n’a pas un lien de parenté avec un autre (Wotan, le grand chef, étant bien sûr le plus excité du chibre) ; b. les dieux sont soumis à des règles casse-couilles qu’ils ont érigées eux-mêmes et qu’ils n’ont pas le droit de transgresser (alors que s’ils avaient été malins, ils ne les auraient pas proclamées dès le début, et ils seraient toujours les Rois du Monde, comme dirait Dove Attia – en fait, c’est Gérard Presgurvic, mais personne ne le connaît, lui).
Alors j’y vais. Je ne vous refais pas l’Or du Rhin sauf si dans les commentaires vous le réclamez à corps et à cris (enfin, bon, surtout à cris).
Hum.
La Walkyrie
Sieglinde est une Desperate Housewives. Elle dépoussière les meubles à longueur de journée et comme elle habite en forêt avec son mari Hunding, elle a beaucoup de boulot. C’est donc avec un certain ravissement (et une certaine faiblesse pour les plaisirs de la chair), qu’elle se laisse séduire par un homme blessé et sans arme qui arrive chez elle. Cet homme n’a pas de nom — pour l’instant —, et il est « poursuivi par le malheur ». Ça lui parle à Sieglinde. Le malheur, elle connaît. On ne saura que dans deux scènes pourquoi.
Hunding arrive, il claque le beignet de sa femme qui a ouvert la porte à un inconnu, mais offre tout de même l’hospitalité à l’étranger « parce qu’on n’est pas des sauvages non plus ». En même temps, il s’aperçoit que sa femme, Sieglinde, et cet inconnu partagent des traits de ressemblance. Hunding a certainement passé une licence de physionomie à l’université de Nanterre quelques années auparavant, Wagner a oublié de le préciser.
Quand Hunding demande le nom de l’inconnu, sa femme est bien emmerdée : elle a oublié de lui poser la question tellement elle était émoustillée à l’idée d’aider un bel homme dans la force de l’âge. Ça ne plaît pas trop à Hunding qui n’en laisse rien paraître, mais qui demande tout de même à l’arrivant de décliner son identité, de montrer ses papiers et la carte grise du cheval garé dehors (je déconne, il n’a pas de cheval, il a marché).
Siegmund — c’est son nom — préfère se présenter sous un autre nom. Pourquoi ? Parce que ç’aurait été trop simple. Siegmund, l’inconnu donc, dit s’appeler « Wehwalt », « Voué au malheur » et pas « Friedmund », « Messager de la paix ». Soit. Ok. Comme il veut. Mais, EN FAIT, on le connaît sous le nom de « Wölfing » (« jeune loup »). Je vois que je fais déjà une entorse à ma contrainte de ne vous dire les choses qu’au fur et à mesure qu’on les apprend dans l’opéra, mais je sens que sinon, je vais pas m’en sortir. Et puisque je suis dans le spoiler, Siegmund est en réalité le fils de Wotan, le Dieu des dieux et Sieglinde est sa sœur jumelle. Leur mère, j’ai pas de précision dessus. Une humaine, sûrement ? Notez que Wotan, mari adultère, a épousé Fricka, gardienne des liens sacrés du mariage. Voyez l’ironie…
Je résume. Nous avons Wehwalt (ou Wölfing) (en fait, Siegmund), un inconnu. Nous avons Sieglinde, la femme de Hunding. Nous sommes chez Hunding qui n’a pas l’air commode. Il est plus tiroir (badam tchak !). Wehwalt raconte alors son histoire : il est né d’un loup (ou son père s’appelait Loup — Wolfe —, j’ai un doute) comme sa sœur jumelle. Un jour, revenant de la chasse avec son père, la tanière est vide : sa mère est morte au milieu de cendres, et sa sœur a été enlevée. Un coup d’Émile Louis ? Non ! Ce sont les Neidinge derrière ce drame humain. Qui sont les Neidinge ? On ne sait pas. L’histoire s’arrête là. Mais a priori, on peut en déduire sans trop se mouiller que ce n’est pas un peuple super sympa de prime abord. La vengeance restait tout de même sur les lèvres de Wehwalt et son papounet et après des années de traque, malheur : le père et le fils se séparent. Ils ne se retrouveront pas. Wehwalt a perdu Loup, son père… Mais, nous dit-il, il a retrouvé une peau de loup. Hum. Dans la forêt. Quelle surprise ! Pas très fute-fute, le Wehwalt.
« Tout ceci ne raconte pas comment tu te retrouves chez moi », commence à s’énerver Hunding, qui n’en a un peu rien à foutre de l’histoire de Wehwalt et qui a bien envie de retirer ses bottes et de s’allumer une bonne pipe à crack. Sauf que Sieglinde, la gourgandine, boit les paroles de l’inconnu plus trop inconnu et veut en savoir plus : pourquoi est-il arrivé chez eux, blessé et sans armes (ce détail n’a en réalité que peu d’importance, mais semble fasciner Wagner dans son livret) ?
Wehwalt s’explique : un enfant lui a demandé de venir en aide à une jeune fille qui allait épouser un homme qu’elle n’aimait pas. Après s’être battu comme un beau diable, Wehwalt a cassé ses armes pendant le combat, les villageois ont tué la fille et lui il a dû s’enfuir.
Mais pas de bol pour Wehwalt (en même temps quand tu t’appelles « voué au malheur », faut pas trop croire à la Vierge, surtout dans une légende folklorique allemande), il se trouve qu’Hunding est du clan qui a lapidé la fille en question, qu’il a trouvé ça tout à fait normal et qu’il allait venger les pertes humaines dues à Wehwalt. Conclusion : Hunding compte bien mettre sa race à Wehwalt. Mais demain. Parce qu’en bon hôte, il a promis une nuit de repos au blessé et il ne compte pas revenir sur sa parole. La noblesse a sa façon d’être qui peut échapper au roturier.
Intérieur. Nuit. Wehwalt est dans sa chambre décorée de trophées de chasse. Ici, on apprend une nouvelle chose : le père de Wehwalt lui a promis une épée super costaude et qu’il la trouverait un jour de « détresse ultime ». Ça tombe bien : il est blessé, sans armes et bientôt mort. On a rarement vu une détresse plus ultime.
C’est alors que Sieglinde frappe à sa porte. Elle a carrément drogué son mari. Elle raconte à son tour son histoire : elle a été offerte à Hunding par des brigands. Le soir de ses noces imposées, un vieillard est venu chez eux et a planté au milieu d’un tronc de frêne une épée. De sacrés gaillards ont tenté de la récupérer, jusqu’ici personne n’a réussi. Excalibur inside. Sauf que les Allemands sont un peu plus malins que les Anglais : essayez de faire rentrer une épée dans un gros caillou, vous comprendrez. Ce vieillard, vous l’aurez reconnu, c’est le père de Siegmund.
Ici, je tire le rideau une minute, car Sieglinde et Wehwalt vont un peu coucher ensemble et j’ai envie de cacher nos regards de cet ardent désir qui les saisit. Mais avant, Sieglinde dit à Wehwalt alors qu’il fait son affaire : « tu n’es plus Voué au malheur, maintenant, tu es Messager de la paix (Friedmund), je t’appelle alors Siegmund ». L’autre : « J’adore, ok, je m’appelle Siegmund ». Sieglinde : « Et ton père était un loup ? ». Siegmund : « Non, je déconnais, il s’appelait Wälse ». La femme : « Tu es donc un Wälsung ! Alors l’épée dans le tronc d’arbre est pour toi ». Siegmund : « Cool, je vais l’appeler Notung, épée de détresse ».
Ils ont quand même une grande passion pour donner des noms à tout et n’importe quoi, ces cons.
Sieglinde : « Ah ! Tu es Siegmund ?! » s’étonne-t-elle, alors que c’est elle qui vient de le baptiser ainsi. (Les personnages chez Wagner ont une mémoire de poisson rouge.) Siegmund : « Oui, je suis Siegmund ! » (il ne comprend pas plus vite). Sieglinde : « Bah, c’est fou, ça, je suis ta sœur ! ». Siegmund : « Cool ! et maintenant on couche ? »
Fin de l’acte I.
Et dire que je voulais faire court.