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Pas triste, le dentiste !

Une dent contre moi

Longtemps, j’ai pris la médecine pour une solution à tous nos problèmes. Mon analyse était simple : tu as mal quelque part, tu vas voir le médecin, il te prescrit un onguent et paf, tu es guéri. Mal au genou, douleur dans l’épaule, perte de cheveux, le médecin était censé avoir réponse à tout. Du moins, c’est ce que j’ai cru, mais la vérité est plus cruelle et pour nous, les patients, et pour eux, les médecins (ce sont deux ensembles totalement disjoints, en ce sens que {patients} {médecins} = ∅). Car le médecin est en réalité un aiguilleur : il dirige le patient vers un autre médecin ou vers un laboratoire d’analyse (qui le mènera chez un autre médecin ou pas) où il prescrit un médicament soit inefficace soit un antibiotique (la molécule efficace depuis plus de cent ans contre 90% des maladies). Quand rien ne marche et que le patient est relou, il finit généralement chez un chirurgien dont l’unique solution au problème consiste à l’ouvrir pour trifouiller à l’intérieur. Le chirurgien est souvent assez froid, il a fait des études, il a été adoubé par ses pairs, et il ne consacre pas plus de dix minutes à un patient pour lui expliquer ce qu’il compte faire et surtout les conséquences de ses actes (tout en faisant signer une décharge si les choses tournent mal), patient qui ne comprend pas le quart des mots prononcés en latin, ce qui est à mon avis intentionnel. Le patient, lui, a généralement cinq secondes pour décider si la douleur qui l’a mené jusqu’ici est supérieure au coût psychologique (et au coût réel) de l’opération.

Oui, je caricature (à peine), mais vous avez l’idée.

Mais plus remarquables que les chirurgiens, il y a une classe au-dessus (qui, je crois, n’a pas le droit au titre de médecin, mais osef), le chirurgien-dentiste.

Et c’est là où j’en viens à vous parler de ma prémolaire n°25. C’était un peu long, mais ça valait le coup, non ?

Plus jeune, cette fameuse prémolaire a eu le bon goût de se carier. En urgence, je vois un dentiste qui la dévitalise, mais par inadvertance, il pète la racine et n’arrive pas à aller au bout de celle-ci. La racine s’infecte, un autre dentiste tente de la dévitaliser à nouveau et m’explique qu’il ne va pas beaucoup m’anesthésier, parce qu’il doit savoir si la petite tige qu’il enfonce pour gratter l’intérieur de la racine est bien dans la racine et pas en train de rentrer dans la gencive (je dois vous dire que j’ai un excellent souvenir de cette séance). Mais bon, la dent est kaput et décision est prise de l’enlever. Et donc, j’ai un trou, mais pas de panique, car on peut vous mettre une vis dans la bouche, ça s’appelle un implant, mon brave monsieur, vous allez voir c’est super. J’ai le choix ? Oui, on peut aussi vous dévitaliser toute la bouche et vous installer un dentier à la place (je déconne, il ne voulait en dévitaliser que deux pour me mettre un « bridge »). Ah bah l’implant alors, que j’y dis.

Bon, j’avoue que je n’avais pas compris que l’implant allait bien remplacer la dent, mais que la gencive n’allait pas le coloniser, ce qui veut dire que ça ressemble à ça dans la bouche, c’est pas génial, mais c’est mieux que rien.

Pas mal, non ? C’est français.

Ma vie continue. Mais voilà qu’il y a deux ans, ma dentiste constate que la gencive qui entoure la dent se réduit. Elle m’encourage à voir un chirurgien-dentiste pour vérifier l’état de l’implant dentaire qui frôle la quinzaine d’années maintenant.

Rendez-vous est prix (c’est fait exprès), dans les beaux quartiers et j’arrive avec ma bouche et mes ennuis.

Et là, mesdames et messieurs, j’ai envie de vous dire : ce n’est pas un rendez-vous, c’est une rencontre. Je découvre un homme qui ne voit pas des « patients », mais des « bouches ». Il est rigolo, mais pas vraiment sympa et commence par me faire une radio 3D avec densimétrie je-ne-sais-quoi et qui se paie la bagatelle de près de 200 euros. Il me la montre sur un écran :

On dirait un petit pizzaiolo qui sourit

Il m’explique que la gencive a disparu, qu’on est sur l’os et que si on n’en remet pas, bah l’os va se faire ronger et l’implant va se casser, une perspective qui ne m’enchante guère, car je ne sais pas trop comment ça casse un implant, mais j’imagine déjà ma mâchoire inférieure en deux morceaux avec des bouts d’os partout.

– Mais y a une solution, Docteur ?
– Bien sûr. On peut faire une greffe de la gencive. Je vous découpe un bout du palais et je le colle contre l’os. Voici le devis, ça coûtera 900 euros.
– Ah bah super, moi qui ne savais pas quoi faire de mon 13e mois !

Je lui dis donc que je vais en discuter avec ma dentiste et que j’aimerais bien avoir une sortie de sa superbe radio. Ce à quoi il me répond : « Ça ne vous servira à rien ». Je crois que c’est illégal de ne pas filer un compte-rendu et les analyses quand on te fait un examen, mais je dis rien : je ne suis pas médecin.

Finalement, en appelant plus tard sa secrétaire, j’obtiens gain de cause, mais je sens que la magie de notre première rencontre est gâchée. En gros, je l’ai soûlé.

Ma dentiste me confirme que je n’ai pas le choix, et je prends rendez-vous pour cette greffe de survie.

Le jour arrive et me rend donc au cabinet médical, dans les beaux quartiers, la secrétaire me dit que ça va bien se passer, qu’il ne faut pas que je m’inquiète (parce que bon, j’ai pas une adoration du dentiste, contrairement au reste du monde) et m’installe dans le fauteuil après m’avoir équipé d’une charlotte et d’une blouse.

J’attends.

Le chirurgien arrive avec un interne et me demande si « Ça va ? ». Je réponds que « Moui » et pour détendre l’atmosphère, j’imagine, il dit : « En tout cas, moi, ça va mieux que vous ! ». Puis, sans aucune explication de ce qu’il va se passer, il dit « Allez, on y va ».

C’est tout ce qu’il me dira pendant une heure. Pour le reste, il ne parlera qu’à l’interne en lui commentant l’état catastrophique de ma gencive et de mon implant à coups de « Rha merde, y a des adhérences partout » ; « Ce genre d’implant, c’est pas de la bonne qualité ». Un instant, je sens le passage d’un bidule sur mes dents, je tente de dire : « euh an, a » (« je sens, là ») ce qui semble l’énerver encore plus.

Paf, il me bascule en arrière pour découper un bout du palais et il peste : « C’est chiant, ça, on peut pas couper facilement, c’est pour ça qu’il faut arracher les dents de sagesse » (ce qui semble vouloir dire qu’en préparation d’une future greffe gingivale, il faudrait virer les dents de sagesse de toute la population ?). Il me rebascule en avant, il prépare le greffon et se lance dans la couture, je redis « euh an a ». Excédé, il jette son instrument, reprend la seringue d’anesthésiant et me dit « Ah oui ? Bah la piqûre, vous savez quoi ? Ça fait encore plus mal » et il me plante l’aiguille dans la gencive (mais il a tort, ça ne me fait pas mal du tout). Il se relance dans la couture, il pique, il passe le fil et il commente : « Non, ça tient pas, la gencive est trop fine, comment on va pouvoir faire ? ». Ça se termine, je suis en nage, il me file une feuille d’instructions où il m’affirme que « tout est expliqué pour la suite des soins » et de voir avec la secrétaire si j’ai des questions. Puis il part et il appelle son fournisseur internet parce qu’a priori, il a un débit qui l’empêche de regarder Netflix ou un truc du genre.

Je n’ai rien à dire sur la qualité de son travail, de toute façon, je suis bien en peine de savoir ce qu’il a traficoté dans ma bouche. Mais dix jours plus tard, je reviens pour qu’il retire les points de suture. Devant moi, il y a la patiente précédente avec qui il blague et lui souhaite un joyeux Noël fort aimablement. Ça rigole et ça rigole. « Et faudra qu’on voit votre mari pour décider ce qu’on fait sur les dents du haut, parce qu’il y a du boulot aussi », ha ha ha.

Elle part et arrive mon tour. Le sourire s’inverse. « On y va ? », dit-il, impatient.

Je m’installe sur le fauteuil, il me demande d’ouvrir la bouche, il regarde, il tire sur ma joue, il sort un appareil photo et entend immortaliser son travail. Il me demande de ne pas respirer « parce que ça fait de la buée sur le miroir et la photo est ratée ». Ça dure une dizaine de minutes, puis il décide de m’enlever les points de suture (et me prévient qu’il va le faire). Il enlève ceux du bas, me relève et me dit « on prend rendez-vous dans un mois ». Je le regarde et lui demande : « Mais vous n’enlevez pas les points de suture sur le palais ? ».

Là, franchement, s’il avait pu m’assassiner du regard et que la justice n’enquête pas, il n’aurait pas hésité. « Bien sûr, les points du palais… » Je me rassois et il termine son œuvre, merci et au revoir.

Un mois après, le dernier rendez-vous arrive. Je me prépare psychologiquement, je me bourre de Prozac et je débarque dans le cabinet. L’attente commence, il arrive et lance son classico « On y va ? ». Je me cale dans le fauteuil, il revient avec son interne et commence par m’engueuler sur la manière dont j’ouvre la bouche, car il faut que je sois « souple » et je ne dois pas me « crisper ».

Il regarde la dent et beugle l’air dégoûté : « Mais… C’est dégueulasse, il y a de la bouffe, là. Putain, mais FAUT NETTOYER ». Je réponds que je nettoie. « Eh bah pas assez ». Là, s’ensuit un court dialogue sur mon erreur de brosse à dents : il ne fallait pas prendre celle de l’autre fois, mais une autre. J’essaie de dire qu’il ne me l’a pas dit (il ne m’a rien dit) et il me répond : « C’est faux, je l’ai écrit sur le dossier », agitant une feuille de papier comme preuve. Il se barre en demandant à l’interne de gratter le bordel. Il revient, regarde le travail : « C’est mieux. Bon, mais là, on pourra jamais le ravoir… ». Il relève le siège : « On se voit dans un an, mais il faut apprendre à vous brosser les dents ». Là, je dis : « Non, mais qu’est-ce que je fais mal ? J’arrive toujours pas à comprendre ce que vous avez fait comme opération ? Où j’ai mal nettoyé ? Comment je dois faire ? ». Je supplie « Expliquez-moi… ». Il me regarde : « Il a pas compris ? Bah, je vais lui faire un dessin ». Il prend une feuille, trace trois et un rectangle en dessous. Je lui dit « Non, mais ça j’avais comp… ».

Il me coupe : « Chut, je vous dis » avant de me détailler son dessin. « C’est bon ? C’est compris ? ». J’abdique. Je veux partir.

Enfin je descend l’escalier, j’ouvre la porte et aspire un grand bol d’air de pollution en pensant déjà à l’année prochaine…

PS : Pour des raisons de dramatisation, certains passages de ce texte sont (tout de même) inventés.

Published inTout moi

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