4,4 sur l’échelle de valeur d’Allociné. Voici, Closer ou 20 Minutes, toutes ces revues spécialisées dans le cinéma l’affirment : Ad Astra est un chef d’œuvre.
« Le dénouement atteint des sommets d’émotion » promet L’Express ; « Un très grand film » assure Elle ; « C’est beau à voir » affirme Le Nouvel observateur ; « Cette mise en espace dilate, agrandit, amplifie le nœud œdipien ; et en même temps, elle le dépouille, l’épure. Sur fond de grand monochrome noir constellé de faibles lueurs d’argent, le scénario grayen n’a jamais été aussi nu, linéaire, limpide, à l’os », détaille Les Inrocks (je n’ai pas pu me convaincre de réduire la citation tellement son auteur se regarde écrire). N’en jetez plus, on tient là le nouveau 2001, Kubrick a trouvé son maître, James Gray l’atomise.
Gray Gross Pitt
D’accord. Sauf que non. D’abord parce qu’on s’en fout du début à la fin de l’histoire (écrite par James Gray et son co-scénariste Ethan Gross) de Brad Pitt qui part retrouver son papa. On s’en moque éperdument que sa femme l’ait quitté. On s’en fiche de tout ce qui lui arrive, de son regard de poulet décapité, de la voix off qui rappelle les sombres heures de la première version de Blade Runner, des retrouvailles avec son daron dans une EHPAD volante et du refus de ce dernier de repartir sur Terre (probablement un spoil pour les gens qui voulaient voir le film, déso pas déso). Mais surtout parce que c’est totalement débile d’un point de vue scientifique.
Soyons clair, je ne tiens pas les critiques de cinéma pour des spécialistes de l’astrophysique, et d’ailleurs moi non plus. Et je n’ai aucun mal à accepter les tirs lasers ou les explosions dans l’espace dans Star Wars ou n’importe quel autre film de SF. Mais là, James Gray raconte s’être inspiré d’Arthur C. Clarke (qui a dû se retourner dans sa tombe) et affirme avoir voulu réaliser un film proche de la réalité.
Sauf que si le début tient à peu près la route, dès qu’on part dans l’espace, on bascule dans le crétinisme total.
On avait dit pas la famille
Dans un futur (proche ou pas, démerdez-vous), Roy (Brad Pitt) est manutentionnaire (en réalité, il est Major de l’US Space Command (la force américaine de l’espace voulue par Donald Trump), mais dans les faits il visse des boulons et branche des fils électriques) le long d’une antenne ancrée sur Terre de plus de 30 km de haut. Il en tombe après qu’une surtension provoque l’explosion d’une partie de l’antenne (et plein d’autres dégâts sur notre planète).
Échappant de peu à la mort, il apprend que cette surtension provient d’un vaisseau spatial en orbite autour de Neptune à la recherche de vies extra-terrestres et dont on n’a plus de nouvelles depuis seize ans. Or, le chef de cette mission n’est autre que l’astronaute renommé Clifford (Tommy Lee Jones), le père de Brad ! Abandon, Rémi sans famille, toussa.
Conclusions fulgurantes de l’armée : 1. Clifford est en vie ; 2. Il a provoqué cette surcharge ; 3. Il faut supprimer le vaisseau pour stopper ces surcharges. Or, l’armée ne sait pas où se trouve le vaisseau (les raisons sont franchement absurdes)… Mais si Cliff répond à un message, alors on pourra le triangulariser comme avec un téléphone portable. Seulement, Cliff joue la grande muette face aux messages de l’armée. Peut-être répondra-t-il à son fils ? Décision est donc prise d’emmener Roy sur Mars pour qu’il diffuse un message à son père. Mais attention, un message écrit à l’avance par l’armée et qu’il devra lire à la virgule près.
Pourquoi faut-il qu’il aille lire son message sur Mars ? Pourquoi ne pas l’enregistrer sur une clé USB ? Aucune idée, mais nous voici partis pour Mars, avec un petit arrêt sur la Lune en chemin, entièrement colonisée par les humains, et probablement le meilleur passage du film. Simplement parce que la base lunaire ressemble vraiment à quelque chose de crédible.
Après cet effort surhumain de la part de James Gray d’être sérieux, nous entrons dans un monde où la physique est totalement chamboulée. Le vaisseau part de la Lune pour Mars. Mais il s’arrête en chemin à cause d’un appel de détresse (à la mode Alien). Comment fait un vaisseau qui va à presqu’un million de kilomètres par heure pour pouvoir tracer Lune / Mars en moins de 14 jours ? « Bah en appuyant sur le frein, crétin ! » répond James Gray. L’équipage s’arrête en plein milieu de l’espace et visite le vaisseau voisin. Et pour repartir après et atteindre de nouveaux une vitesse si rapide, comment fait-on sans brûler de gigantesques réservoirs d’ergols et en poussant contre un truc un peu dur ? « Bah suffit d’appuyer sur l’accélérateur, tiens ! »
« Ça fait partie de mon évaluation psychique ? »
La stupidité atteint son paroxysme sur Mars. Pour envoyer son message, Brad Pitt doit se retrouver dans une Chambre anéchoïque (pourquoi ?) seul devant un micro. Il lit son message et l’ingé son derrière la glace lui dit : « Ok, c’est dans la boîte ». On imagine qu’on n’a plus qu’à attendre la réponse du papa. Sauf que la sergente à côté lui explique qu’en fait, il doit venir relire le message toutes les heures devant le micro. Non, mais à quoi ça sert ? Ils ne peuvent pas le diffuser en boucle ? A priori, non, ils veulent du direct.
Brad Pitt revient donc une heure plus tard, mais change le script et improvise une poignante déclaration d’amour : « Papounet chéri, je t’aime ».
La sergente s’apprête à couper la transmission, mais un autre sergent met sa main devant le bouton : « Attendez, je sens que ça marche ».
Et ça rate pas, le papa répond. Son réacteur à anti-matière (qui fournit l’énergie nécessaire à son vaisseau – clairement ici, les scénaristes ont joué au cadavre exquis avec des mots qu’ils ne comprennaient pas) a le carbu qui fuit, c’est la cause des surtensions. Mais il refuse d’arrêter ses recherches. Bien qu’il ne soit plus que l’unique habitant du vaisseau depuis des mutineries survenues quelques années auparavant.
Grâce à la réponse de Cliff, et à la triangularisation des GPS, les militaires ont dorénavant la position du vaisseau. Craignant de nouvelles surtensions, ils décident de le détruire, le père avec. Comment ? Grâce à la seule arme qu’on connaisse pour tout casser depuis 1944 : une bombe nucléaire. On notera au passage qu’une surtension lancée depuis Neptune n’aurait en théorie aucune chance de provoquer quoi que ce soit sur Terre, car contrairement à ce qu’affirme le film, l’énergie n’augmenterait pas sur le trajet, mais s’amenuiserait. Et si la surtension pouvait faire exploser la Terre, elle commencerait d’abord par détruire totalement le vaisseau de Cliff. Ce qui n’arrive à aucun moment. « T’es relou, toi » aboie James Gray.
Super Brad
Roy est écarté de la mission Badaboum au profit d’un nouvel équipage qui doit aller installer la bombe nucléaire dans le réacteur à anti-matière. Et pourquoi ne pas plutôt envoyer un missile depuis un module automatisé ? Mystère et boule de gomme. Hors de question de détruire le vaisseau sans risquer la vie de tout un équipage. Ça n’est pas dans l’idée de James Gray. Alors Roy va grimper clandestinement dans la fusée en partance pour Neptune. Et comment va-t-il s’y prendre ? Facile : en courant le long de galeries menant sous le pas de décollage.
De là, il suffira à Roy de s’accrocher au pinceau pendant qu’on enlève l’échelle. Pardon, je divague. Il suffira à Roy de grimper le long du réacteur qui va gentimment se mettre à cramer du carburant à quelques milliers de degrés à côté de sa belle gueule, d’ouvrir le sas et d’attendre dans le compartiment prévu à cet effet. Non, mais sé-rieu-se-ment ? Vous croyez que Kubrick aurait accepté un truc aussi débile que ça ?
Et attendez, ce n’est pas fini ! Bien sûr, il y arrive alors que la fusée décolle (genre, je prends une vingtaine de G dans la gueule, mais ha ha ha même pas mal !), il entre par le sas qui peut s’ouvrir pendant le décollage en tournant un put*** de cadenas, mais une alerte prévient l’équipage que quelqu’un a laissé une porte ouverte et nom de Dieu qui paye pour le chauffage ici ? S’ensuit une rixe en apesanteur qui se solde par le décès de tout l’équipage, « C’est pas de chance », sauf de Brad Pitt qui prend les commandes et prévient le centre spatial que tout est sous contrôle : « Ayez confiance, je sais ce que je fais« .
Arrivé près de Neptune, il gare son vaisseau en orbite autour des anneaux de la planète et prend une navette plus petite pour rejoindre le vaisseau de son père. Là-bas, il casse sa navette, qu’il laisse dériver dans le vide, « Je prendrais un Uber pour rentrer », et ouvre un sas qui dispose d’une porte droite, comme celle d’une chambre, et qui donne directement dans l’appareil. Autant dire qu’une telle porte ouverte dans l’espace s’arracherait immédiatement et créerait une dépression catastrophique. « Mais OSEF », répond James Gray, « tout le monde dort à ce moment du film, c’est prévu pour ! ».
Cliff en guerre
Les retrouvailles avec son père sont déchirantes d’ennui. On apprend que Cliff est atteint de la cataracte, ce qui explique sûrement pourquoi il n’a trouvé aucune vie extra-terrestre, mais il tient à continuer ses recherches parce que ce serait un sentiment d’échec trop fort s’il partait maintenant, si près du but de constater que ces années de solitudes n’ont servi à rien. Faut juste réparer ce fichu réacteur à anti-matière. Après de nombreux poncifs, Roy convainc Cliff d’abandonner, place la bombe nucléaire dans le réacteur et équipe son père de couches Confiance et d’un jet pack pour repartir vers la fusée. Bien sûr, Cliff feinte : il part à l’opposé du vaisseau et se laisse mourir dans l’espace.
Roy pleure pour la quarantième fois du film, mais il doit quand même rejoindre sa fusée (et Uber prend trop cher) pour retrouver son ex-femme et lui expliquer qu’il a compris le sens de la vie et qu’il n’est pas comme son père. Il se saisit d’une clé à molette et dévisse les boulons d’une grande plaque d’acier (rappelons qu’il est vachement fort en boulonnage et déboulonnage). Puis, il vise au jugé la direction vers son vaisseau et met les gaz pour traverser l’anneau qui se trouve être composé d’une communauté de petits bouts de cailloux : la communauté de l’anneau (ce qui n’est absolument pas le cas dans la réalité, c’est de la poussière de glace). Et les p’tits cailloux frappent gentiment le bouclier de fortune de l’ami Roy alors qu’il file à plusieurs centaines de kilomètres à la minute (oui, parce que j’ai la flemme de calculer, mais un objet en orbite autour d’une planète ça va vite, et pour le rattraper, il faut aller plus vite, or les anneaux de Neptune ont une épaisseur de plusieurs centaines de kilomètres et la séquence ne dure que quelques minutes). Dans la réalité du vrai monde, on aurait eu du gruyère de Brad Pitt (oui, je sais, il n’y a pas de trou dans le gruyère, mais au point où j’en suis…).
Brad s’écrase sur le vaisseau (sans aucun dégât, mis à part une égratignure) et constate qu’il n’a plus assez de carburant pour repartir sur Terre. Qu’à cela ne tienne ! L’onde de choc de l’explosion de la bombe nucléaire va le projeter comme un lance-pierre. Bien sûr. Parce que quand on pousse du vide, bah ça propulse. Tout le monde le sait.
Alors je veux bien qu’on raconte n’importe quoi dans l’espace, mais qu’on ne se vante pas de faire un truc réaliste, merde !
Il y a tout de même un truc à sauver de ces deux heures treize : les planètes sont magnifiquement restituées. Et comme Roy croise Mars, Jupiter, Saturne et Netpune, ça fait du paysage.
Certes, un mec tâtillon pourrait s’étonner de voir que le jour où Brad Pitt voyage toutes les planètes sont alignées… Mais bon, je ne suis pas ce genre de personnage.
Je reviendrai dès que j’aurai vu le film
J’ai hâte !
Effectivement c’est totalement invraisemblable et en plus il émane de ce film un terrible sentiment de déjà vu. La séquence “alien” à boire du cargo norvégien est sans intérêt. Le studio d’enregistrement ressemble au décor d’Interstellar dans lequel le héros cherchait à communiquer avec sa fille. La quête du père fait penser à celle de Blade Runner 2049, Et quand Brad Pitt passe dans un sas avec son scaphandre, on pense à 2001. Pourquoi les scénaristes réécrivent sans cesse le même scénario du père caché qui n’est pas tout à fait le héros que l’on croyait ? Peut-être sur ordre du service du marketing.
Je me suis souvenu également d’un mauvais film dans lequel le soleil en voie d’extinction devait être réactivé à coup de bombes nucléaires (déjà) qui avait pour titre Sunshine et je me suis souvenu de gravity et de Solaris aussi …
Mais enfin il reste tout de même que Gray filme plutôt bien Brad Pitt en gros plan, et aurait pu réussir en creux, par petites touches le portrait d’un loser impassible et cinégénique.
Je lis tout ça un an après, et je veux pas chipoter mais c’est dans l’emmental qu’il n’y a pas de trous. Dans le gruyère, il y en a. Bisous, l’artichaut !
Je tenterai de m’en souvenir !
Ahahahah, la reponse 6 mois plus tard 😀
T’as commenté un an après la publication de l’article et j’ai RIEN dit, moi !