Peu de gens le savent, et globalement c’est un problème pour ma street cred’, mais je suis le spécialiste en France de la télévision américaine. Je connais par cœur les talk-shows américains (qui existaient, je le rappelle pour les journalistes, AVANT Jimmy Fallon) et je suis quasiment maître de conférence sur le Saturday Night Live puisque je suis un intime de Lorne Michaels et de Dick Ebersol. Ce qui nécessite pas mal de doigté.
Bref, je SUIS la seule personne en France capable d’exprimer une opinion un tant soit peu cohérente sur la version française du Saturday Night Live diffusée sur M6 hier.
Et là, première remarque : pas de sketch d’intro qui se finisse par « En direct sur M6, c’est le Saturday Night Live du jeudi soir » ? Ok. Fin de l’analyse. Ce qu’on va voir n’est pas une VF du SNL. C’est une soirée comique avec Gad Elmaleh, comme il y a eu une soirée comique avec Jean Dujardin sur Canal+. Pour la comparaison, on peut tout de suite passer à autre chose.
Ça se confirme d’ailleurs dans le monologue de Gad qui n’est absolument pas un monologue typique du SNL. Il s’agit d’un genre de monologue de talk-show (des successions de punch lines sans lien, et pas une histoire construite comme dans le SNL), mais en plus assez raté. Je m’explique. Regardez par exemple le premier monologue de Conan O’Brien quand il a remplacé Letterman ou le premier monologue de Letterman quand il est arrivé sur CBS. Les deux fonctionnent un peu de la même façon : ils se présentent comme de gros losers incapables d’être de « bons animateurs de talk-shows ». Et ils mettent en avant des extraits d’émissions ou de journaux qui titrent : « Letterman a-t-il ce qu’il faut pour animer un late show ? » ou « Conan O’Brien, l’outsider qui va se planter ». Et ils rient de ça en leur donnant raison.
Elmaleh fait l’inverse, à la manière des vœux de Trump :
Il nous dit : « Oh, regardez les connards de Télérama qui disent que j’arriverai même pas à faire un talk-show ! », puis « Oh, regardez les débiles de Twitter qui disent qu’on fait un Saturday Night Live un jeudi ! » et ainsi de suite. Il est dans la rancœur, dans la diatribe, et clairement, c’est mauvais.
Même la réalisation n’a rien à voir avec le SNL. Qui a visité le studio 8H (comme moi) le sait : le public est en hauteur sur le balcon (à noter que les quelques sièges en bas sont réservés aux amis des invités et du cast pour la simple et bonne raison qu’il ne faut pas faire venir ici des fans qui pourraient perturber les sketchs). Il voit 70% de l’émission sur des retours écrans disséminés devant eux. Car une seule scène est vraiment bien visible depuis le balcon, la grande où est l’orchestre et où se tient le monologue. A gauche (vue du public), on a la scène musicale. Certains sketchs sont aussi filmés en face de la scène musicale, sous le balcon, dos au public. L’audience n’est quasiment jamais filmée. On l’entend rire, mais il n’y a pas de plans sur elle (il y en avait au départ dans les premières années, entre 1975 et 1980 : au moment des coupures publicitaires, des gens du public filmés avec des bandeaux « blagues », genre « Fils de Charles Manson »). Rien de tout ça dans le SNL de M6 : la scène est sur un plateau tournant, on filme les coulisses, on nous montre le public. Bref : ce n’est clairement pas le même dispositif.
Et puis il y a les sketchs, mais je ne vais pas m’étendre longuement. Car les sketchs dans la version officielle du SNL sont de qualité largement variables (et très souvent pas bien bons). Ce serait malhonnête de les comparer entre la VF et la VO. Mais, moins que les sketchs, la vraie force du SNL a été avant tout de révéler au grand public des acteurs, des comiques et des auteurs.
Hélas, M6 et le SNL frenchie ne font une fois de plus rien de ça. La chaîne a repris la formule du SNL de Dick Ebersol en 1985-1987 quand le producteur avait viré toute l’équipe après le départ d’Eddie Murphy pour une saison dotée d’un casting « All Stars » (Billy Crystal, Joan Cusack, Robert Downey, Nora Dunn, Anthony Michael Hall) qui a totalement foiré (et qui a permis le retour de Lorne Michaels). Ici, c’est pareil, on a un Gad Elmaleh « All Friends ». Et ça ne marche pas très bien. C’est loin d’être nul quand même, hein (le sketch de la banque est amusant, même s’il n’y a pas de surprise). Mais ça ne révèle personne (sauf peut-être Marc-Antoine Le Bret pour le public de M6, mais on l’a vu ou entendu sur Europe 1, C8/D8/Direct8, France 2, c’est déjà une tête connue).
Quant au « scandale » de repomper le sketch « More Cowbell » du SNL original, franchement, les gens s’excitent pour pas grand-chose et oublient (ou ne savent pas, comme souvent) que Les Nuls avaient déjà largement pillé le SNL en leur temps. Je ne retrouve pas les vidéos, mais si vous vous souvenez comme moi de la fausse pub « La Banque du change » avec Alain Chabat, vous retrouvez exactement la même deux ans avant dans le SNL (elle est ici). Pour le coup, j’avais interviewé Chabat dans une autre vie et il l’avait reconnu sans problème, presque comme une évidence.
En somme, ce Jeudi Soir Live de M6 n’a rien de déshonorant (sauf le monologue), mais en dehors de son nom, ce n’est pas un Saturday Night Live. Sorry.
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