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Mois : mars 2016

La DSI, ce panaris sur le doigt de Django Reinhardt

Préambule
Ceci est un pastiche. Que ce soit bien bien clair :

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Au boulot, depuis l’année dernière, nos dirigeants n’ont qu’une idée en tête : nous sim-pli-fier le travail. À cela, une raison simple : ils ont viré la moitié des salariés. Comme ils n’ont pas fermé la moitié des journaux, il faut bien faire le double de travail. Donc il est impératif de « fluidifier les flux de process interpersonnel » (ou une connerie du genre, je m’y connais assez mal en vocabulaire de bullshit manager marketeux).

Quoi qu’il en soit, il y a six mois, le Grand bond en avant a débuté par l’arrêt des commandes de coursiers par téléphone. Auparavant, nous appelions un opérateur qui nous demandait la date, l’heure et l’adresse de livraison, et roulez jeunesse. Dorénavant, c’est beaucoup plus pratique. On se connecte sur le site internet des coursiers avec un compte temporaire qu’on demande à l’assistante de direction. Là, on renseigne le type de course, l’adresse de départ et d’arrivée à formater exactement selon un codex inconnu (on y va à tâtons, à chaque validation, on regarde l’endroit qui s’affiche en rouge, preuve d’une mauvaise graphie et on tente une nouvelle nomenclature, jusqu’à ce que ça fonctionne), ensuite on coche (ou décoche) une dizaine d’options destinées à nous prévenir par SMS pour 4,50 euros supplémentaires que le coursier a récupéré le paquet et pour la bagatelle du double, s’il a bien été livré.

Ensuite, la société édite une facture que doit valider l’assistante de direction et elle passe dans les bureaux en te demandant si c’est bien toi Louloudu74, ton login temporaire obtenu au moment de la commande de la course.

Lim-pi-de.

Mais ça ne suffisait pas. Ce gain de temps incontestable devait pouvoir encore s’améliorer grâce à une autre opération autrement plus fréquente que la commande d’un coursier : l’impression de documents.

Jusqu’ici, on cliquait sur le bouton « Imprimer » depuis l’ordinateur. Ensuite, on se rendait devant le copieur et on récupérait son impression.

« Bien trop long. Où est l’efficacité ? Où est le dynamisme ? Tout ce temps perdu, mais c’est juste pas POSSIBLE », a hurlé la DSI (la DSI, ami chômeur, c’est la direction des systèmes informatiques, grosso modo, c’est un panaris sur le doigt de Django Reinhardt). Donc la DSI a eu une idée géniale : badger pour imprimer.

En pratique, dorénavant, tu cliques sur le bouton « Imprimer ». Tu vas devant le copieur. Tu badges. Tu sélectionnes « Secure Print ». Un tableau s’affiche avec toutes les impressions que tu as lancées. Tu cliques sur l’une d’entre elles. Tu attends que l’imprimante règle ses demi-teintes, puis tu patientes le temps de l’impression. Tu récupères tes papiers, tu sélectionnes l’impression, tu la supprimes (sinon, la liste devient longue comme le bottin) (plus personne ne sait ce que c’est le bottin, je suis au courant). Et surtout, tu te déconnectes, sinon ton compte pourrait être COMPROMIS.

Rien à dire. La productivité a fait un bond en AVANT. Merci la DSI !

Et puis, aujourd’hui, on nous change encore un truc qui va nous simplifier tellement la vie qu’on se demande vraiment comment on a pu vivre sans, bon sang, mais sérieusement, c’était l’âge de pierre encore hier. Nous étions les Cro-Magnon de l’entrepreneuriat français, nous sommes désormais Christophe Colomb foulant pour la première fois le continent américain.

Auparavant, on finissait de rédiger nos articles dans Word et on les glissait dans un dossier sur un serveur baptisé « Pour relecture ».

Non, mais ohhhhhhhh ! Tu te crois où, mec ? Au moyen-âge ? Réactualise, gars.

Dorénavant, nous avons basculé sur le merveilleux logiciel PUBLISHING NOW ! (le point d’exclamation est obligatoire, son oubli entraîne l’obligation de s’enfoncer une tige métallique dans l’urètre sous le regard des cadres de la DSI)

On termine le texte. On ouvre Firefox, on va sur l’outil de PUBLISHING NOW !, on se connecte avec son compte, on se rend sur le numéro en cours de fabrication, on cherche le dossier de l’article en question, on « active » la session avant de créer un nouvel « article » (tous les mots entre guillemets sont issus de la terminologie officielle de PUBLISHING NOW !) dans le trieur à l’intérieur duquel on copie et colle chaque partie de l’article selon la catégorisation « Surtitre / Titre / Auteur / Chapo / Texte / Encadré ». Puis on « envoie » sur le serveur l’article qu’on « termine » (l’expression consacrée, a priori très connue des Néerlandais, les éditeurs de PUBLISHING NOW !) pour le faire basculer en mode « vérification » que notre rédacteur en chef devra « valider » afin que l’article passe en mode « Pour relecture ».

Je ne sais pas comment ce journal a pu sortir 25 ans sans ces avancées technologiques qui ont révolutionné toute ma vie en moins de six mois.

Alors évidemment, quand j’ai demandé ma première augmentation après cinq ans de bons et loyaux services, on m’a rétorqué avec une justesse indéniable : « La modernisation de notre entreprise a épuisé les crédits de revalorisation des salaires, mais l’absence de réembauche grâce à notre productivité améliorée devrait permettre un maintien de votre emploi encore trois ans ».

Et j’ai reçu un mail pour m’inciter à partir préventivement à la retraite.

Cape d’invisibilité

La semaine dernière (« c’était un mardi » c’était un samedi), j’étais à la piscine Georges Hermant dans le cadre de la Nuit de l’Eau, mais on s’en fout, c’est pas là où je veux en venir, je place juste ici le contexte, car cette histoire respecte l’unité de temps, de lieu et d’action. Ouais, je suis le Boileau du blog.

Où j’en étais avec ces conneries ?

Donc, voilà, je suis où je suis, je m’occupe de glander tout en simulant une activité intense respectant un cahier des charges précis de fainéantise quand voilà-t-y pas que débarque quelqu’un que je connais. Un autre blogueur d’il y a mille ans, qui est journaliste, que j’ai vu plusieurs fois, avec qui j’ai déjeuné, avec qui j’ai parlé et tout ça et tout ça. C’est pas un ami à la vie à la mort, je l’ai probablement pas croisé depuis un an, mais je le range dans la catégorie des « gens que je connais par les Internets, mais que j’ai aussi rencontré dans la vraie vie et qui sont sympas et que j’aime bien revoir sans pour autant chercher à caler le rendez-vous avec Doodle ». Une catégorie assez large somme toute.

Bref, je m’approche de cette connaissance et je lui lance un « Hey [REDACTED] ! Ça me fait plaisir de te voir ! Comment ça va ? ».

Silence gêné en face.

Silence gêné de ma part.

[REDACTED] finit par répondre : « Pardon… Mais on se connait ? »

Silence embarrassé de ma part. Je me chante cette petite chanson dans la tête :

Nous reprenons :

– Euh… Ouais… Enfin, un peu… Romain… L’artichaut sur Twitter. T’vois ?
– Ahhhhhh. Oui, oui, oui. Bien sûr !

Quand tu en arrives au point où une connaissance se rappelle de toi par ton avatar sur un réseau social, c’est que tu as clairement raté ton personal branling.