À chaque fois que je rentre chez moi, j’ai l’occasion de voir ce super panneau devant l’entrée de la ville de proche banlieue de Paris qui m’accueille pour dormir à l’intérieur de ses frontières, moyennant la ponction de mes maigres économies pour m’y acheter un appartement et y payer les taxes d’habitation et foncière associées. Disais-je donc, je vois ce panneau :
Et, ne mentons pas, c’est risible. Et c’est risible pour deux raisons.
Première raison : faut-il vraiment se vanter quand on a une fleur sur quatre attribuables ? Est-ce qu’un parent sensé magneterait (du verbe magneter, v.i. du premier groupe : qui colle quelque chose sur un réfrigérateur grâce à un magnet ou un aimant décoré) le dernier devoir de math de son gamin si la note était de 5/20 ? Non, je demande.
« Bravo, Junior, c’est super bien 5/20, on va le magneter sur le frigo et je vais le montrer à tous mes amis, parce que franchement, c’est la classe ! ».
Obviously not. (Je sais pas, en ce moment, j’ai pas envie d’écrire très français, une dérive sûrement due à mon passage dans la presse d’enculeurs de mouche).
Oui, vous allez me dire : « Non, mais t’es con ! C’est super déjà une fleur. Est-ce que tu reproches à un mec qui a une étoile au Michelin de l’arborer fièrement sur la devanture de son restaurant ! ». Vous avez raison. Mais si mon premier argument vous laisse de marbre par son évidente mauvaise foi, permettez-moi dans ce cas de vous présenter le suivant.
Seconde raison : en admettant que « WOUAHOU, UNE ÉTOILE, C’EST SUPER ! », reconnaissez que dans le paysage urbain des banlieues parisiennes où le béton a remplacé la moindre trace de verdure, UNE étoile pour n’importe quelle ville qui fait le tour du périphérique, c’est de la véritable connerie. Si je devais faire une comparaison qui vous soit accessible, je dirais que c’est comme si les Mc Donald’s avaient une étoile au Michelin ou une toque au Gault & Millau. Là où j’habite, il y a un parc absolument dégueulasse sous l’autoroute et un autre parc plus joli (toutes proportions gardées) avec des allées bétonnées, la pelouse étant bien sûr interdite. Il est minuscule, et il est fermé après 16 heures.
Conséquence de mes réflexions, je suis allé voir comment étaient attribuées ces fameuses étoiles. Il y a donc tout un protocole qui a l’air bien chiant pour qu’un inspecteur vienne visiter votre ville ou village et cet inspecteur attribue des notes sur des critères établis par je ne sais qui, mais on s’en fout.
Ce qui est marrant, c’est qu’on peut accéder à la liste des critères. Ce que j’ai fait. Et c’est très intéressant.
Il y a 6 points différents, et grosso modo, le juge attribue une note : « Inexistant / Initié / Réalisé / Conforté ». Exemple (c’est petit, mais tu peux cliquer d’ssus) :
Ou :
Mais, plus étonnant, pour certains critères, même si le juge considère que c’est « inexistant », la ville a QUAND MÊME le droit à une étoile. Genre, t’as pas répondu à la question, mais t’as un point de toute façon. Je sais pas pourquoi. Ça ne fait aucun sens. Et c’est ça sur quasiment un critère sur deux. Ce qui veut dire qu’en gros, tu n’as pas une plante dans ta ville, mais tu peux quand même avoir le Graal de la première étoile :
Pas de diversité ? Pas grave, une étoile ! Pas de concertation avec la population, bah deux étoiles, c’est du beau travail de pas l’avoir fait !
Et puis, parce qu’il faut bien aider les villes les plus nulles à espérer avoir une étoile sur l’entrée de la commune, il y a le dernier critère, « pour l’honneur », qui s’appelle « La Visite du jury ». Trois points sont analysés par l’inspecteur.
Point 1 : la présence d’un élu avec lui. En gros, s’il était tout seul (inexistant ou initié), zéro point. Si un élu était là, une ou deux étoiles ; s’il a payé le repas le midi et le vin, là, c’est trois ou quatre étoiles (si le vin était bon).
Point 2 : organisation de la visite. S’il n’y avait pas de visite, c’est zéro. Si la visite a été « initiée » (y avait des pancartes, peut-être, je sais pas ce que ça veut dire), c’est une étoile. Si elle est « réalisée » (on voit pas comment ça ne pourrait pas être le cas), c’est deux ou trois étoiles. Et si elle est « confortée » (j’imagine que ça veut dire que tout le village a fait une ola à chaque passage de l’inspecteur), c’est 4 points (four points, vier Punkte).
Et point 3 : pertinence du circuit. S’il n’y a pas de pertinence, encore zéro ; si elle est « initiée » (ça passe dans une décharge ?), c’est un point et ainsi de suite :
Évidemment, à la lumière de ces informations fracassantes (jamais révélées par le Canard enchaîné), je ne suis plus vraiment surpris que ma ville ait gagné sa fleur. Je pense même que la maire a dû tenter un pot de vin pour s’en assurer une deuxième, mais l’inspecteur a dû lui faire remarquer que malgré la qualité du déjeuner et du chorizo grillé au thym arrosé de porto, ça risquait de se voir un peu…
Les grands esprits se rencontrent! On vient justement de passer deux semaines en Fronce à se demander quoi, qui, comment, POURQUOI?! (mais pourquoi?) ce vaniteux étalage de ses points en pétales. Parce que bon, avoir un panneau qui dit que tu aimes les fleurs, ok. Mais si tu aimes les fleurs et que ça se voit [tape dans tes mains, clap clap], n’est-ce pas encore tellement mieux?
La vanité est une des caractéristiques de la France : si tu atteins un but, mais que personne ne le sait, ça n’a aucun intérêt. Ce n’est pas pour rien qu’il y a un critère de promotion du label !
Encore pire, je suis passé par un village où l’on pouvait voir la trace d’une ancienne 2e fleur sur le panneau, ne laissant plus qu’une petite fleur excentrée…
J’ose à peine imaginer le sentiment de honte quand ils ont du gratter la 2e fleur.