Ma vie est une longue complainte, depuis le premier cri au sortir du ventre de ma mère, jusqu’à avant-hier où je me suis cogné le petit doigt de pieds sur le montant du lit.
Mais dura lex, sed lex, et malgré le peu d’envie qui m’anime, j’ai décidé de parler de ce problème (dont je pensais avoir déjà parlé, mais en fait, j’ai juste pensé que je l’avais fait, et souvent, quand je pense à quelque chose, j’ai l’impression que je l’ai fait, par exemple, je me lève, et je décide d’aller faire du sport et finalement, quand je me couche le soir, j’ai pas fait de sport, mais comme j’y ai pensé, je me dis : « Pas mal, le sport, aujourd’hui, j’ai bien fait de penser à en faire, j’y retournerai demain », alors qu’en fait, si vous avez compris mon charabia, j’ai pas fait de sport).
(Depuis que je travaille dans un journal où je dois vulgariser à longueur de journée et expliquer des trucs super simples à des abrutis qui ne comprennent rien, je me dis que j’ai bien le droit d’être incompréhensible quelque part, et cet endroit, c’est ici).
(Après tout, je paie moi-même mon serveur pour héberger mon blog, si j’ai envie de faire des fautes de français, je vois pas pourquoi je devrais m’en empêcher, non, mais sérieux, vous êtes quoi ? des communistes pour faire vos grammar-nazis à longueur de journée ? Get a life, les mecs)
C’est bon ? J’ai perdu mes trois lecteurs ? Bien, continuons.
Chaque été, à la mer, on organise des pizza party (PARRRRRTTTTTYYYYYYY). On s’achète des pizzas et on les mange sur la plage. C’est le mercredi, une fois par semaine. Et on boit du rosé. J’avoue ne pas me souvenir de quand date cette tradition, mais elle aussi vieille que le monde (enfin, que « mon monde » au moins, sauf le rosé, avant je buvais du coca, mais maintenant, je bois du rosé).
À ce stade pas très avancé de l’histoire, il convient de préciser une chose. Je ne bois pas du rosé parce que c’est bon, seulement pour supporter les gens qui m’entourent à ce moment précis de mon existence : la vieille conne de la maison d’à-côté et ses petites-filles « âbsolûûûmaaaaââânt géniâââââles », l’autre vieille conne qui pue de la bouche avec son petit-fils « qui est difficile, mais le pédiatre m’a dit que c’était un génie », les enfants des autres qui courent partout, te jettent du sable à la gueule et dont les parents te font : « il est adorable, hein ? ». NON, IL EST PAS ADORABLE TON GOSSE, CE SERAIT UN CHIEN, IL AURAIT UNE PUTAIN DE CHAÎNE ET ON L’EMMÈNERAIT SE FAIRE PIQUER.
Reprenons.
Donc, on est une vingtaine sur la plage et on prend les commandes. Il y a trois types de familles : les pinces qui prennent une pizza pour quatre, les gros qui prennent quatre pizza pour un, et moi qui n’aime pas le fromage « mais sur la pizza, ça va, quand il y en a pas trop » (le chieur).
Et là, c’est SYSTÉMATIQUE, il y a toujours la moitié des gens qui dit : « On prend une quatre fromages ? ». Irrémédiablement, un autre dit : « Ah oui, c’est une bonne idée, mais une pizza, c’est trop, on n’aura qu’à la partager avec quelqu’un, Romain, tu prends quoi ? ». Systématiquement, je réponds : « Une reine ». L’intermédiaire reprend : « Ah bah alors, c’est bon, on prend une reine et une quatre fromages et on la partaaa… »
Je lève la main. Le silence s’impose par la seule présence de mes cinq doigts en l’air. Le ciel s’ombrage. Les parasols se ferment d’autorité. La température s’effondre. Je plisse les yeux, je regarde froidement toute l’assemblée et d’une voix abyssale je tranche : « Mais je ne partage pas ».
« Il est pas commode, ton fils », dit-on alors à ma mère, « pourquoi qu’il veut pas partager ? Tout le monde, il aime partager, non ? Regarde, ma fille, ma fille ? T’aimes partager ? Pas vrai que tu aimes partager ? Oui ? Eh oui ! Tu vois, tout le monde, il aime » (cette précédente phrase est à lire avec l’accent de Marthe Villalonga, si tu es trop jeune pour connaître, clique ici).
Alors, tel Jésus prenant la main de Marie, sa mère, avant de monter sur les chaffauds (un chaffaud, c’est le mot scientifique de la structure qui forme la croix sur laquelle on grimpe pour se faire crucifier) (true story), je déclame ma prophétie :
« Vous voulez des pizzas quatre fromages. Bande de sots. Chaque fois, vous répétez la même erreur, et vous n’apprenez jamais rien. Comme des chiens en cage, vous cherchez à attraper votre queue, devenant fous de n’y parvenir. Mais vous ignorez tout. Cette crasse indigence qui vous recouvre sera votre tombeau. Voyez. Écoutez ce que je dis. Entendez la prophétie du Prophète. Vous allez acheter des pizzas quatre fromages, mais vous allez vous ruer sur toutes les autres avant. Quand votre estomac sera plein, vous couperez la pizza quatre fromages. Et vous allez en manger une minuscule part, laissant le reste flotter sur les lagunes de votre indifférence ».
– Qu’est-ce qu’il dit ?, répond l’autre débile avec son accent pied-noir.
– I DIT QUE VOUS ALLEZ FAIRE COMME D’HAB, QUE VOUS ALLEZ BOUFFER NOS PIZZAS ET VOS QUATRE FROMAGES À LA CON, VOUS ALLEZ LES FOUTRE À LA POUBELLE, crie-je et m’étrangle-je (oui, c’est fait exprès, ça m’amuse de mal l’écrire).
Les pizzas arrivent. Vingt personnes, douze pizzas, six quatre fromages et MA reine.
On les distribue. J’ouvre mon carton, les autres avec les pizzas quatre fromages commencent à ressembler à des loups affamés, j’entends les conspirations s’ourdir, tel un escadron de moustiques ordonnant une attaque contre une artère fémorale. « J’ai pris une quatre fromages, mais je peux te prendre un morceau de ta paysanne ? Mais tu pourras prendre une part de la mienne avant ».
Les parts de pizza s’échangent, se monnayent même parfois : « j’achèterai un beignet à ton fils demain, si tu me laisses te prendre un croque dans ta napolitaine ».
Le festin s’achève enfin, le rosé a remplacé mon sang dorénavant, j’ai gardé un quart de ma reine. Comme des grosses mouches attirées, leurs yeux globuleux s’approchent de mon carton, c’est la dernière part qui n’est pas une quatre fromages. Des quatre fromages, il y en a encore deux entières que personne n’a touchées. Je les vois, je vais leur baygonner la gueule à ces connasses de mouches.
« Bzzzzzz. Bzzzzzzz. Bzzzzzz. Romain, il t’en reste ? Je peux te prendre ta dernière part ? Non, parce que j’ai pris une quatre fromages, mais j’en peux plus, là ». Je regarde ces grosses mouches. Elles s’approchent, j’ai peur qu’une ne me ceinture avec ses pattes gluantes. Je récolte du sable avec mes mains, je les positionne en cône au-dessus de mes restes. Les mouches s’arrêtent, elles ont peur, elles savent que je suis prêt à tout.
Mes mains s’entrouvrent, le sable glisse le long de ma paume et choit sur la pizza. Je regarde les mouches une dernière fois.
« Plutôt crever ».
Je me lève, je fous du sable encore, je prends le carton, je le déchire en plus petits morceaux qu’une offre de crédit Sofinco reçue par la poste, je jette tout ça à la poubelle, je torche mon verre, je suis bourré, je fais la bise de loin à tout le monde, je monte dans ma caisse, je démarre et en repassant, je lance en bon faux-cul : « Allez ! Bonne soirée ! C’était super ! Et les enfants étaient trop gentils ! On se refait ça la semaine prochaine ? ».
Tas de cons.
J’aime beaucoup l’idée de la pensée performative. Par exemple penser a aller au travail le matin et le soir que l’on a été efficace au bureau…
C’est extrêmement efficace, mon patron est fan.
Ton esprit torturé aurait pu remarquer d’une quatre fromage partagée en quatre n’offrait plus qu’un fromage, ou, partagée en 6, seulement 0,66§ fromage, ce qui est diabolique, mais non. Pour le reste, c’est parfait de te relire.
Amitiés.