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Mois : août 2015

L’impitoyable jury des villages fleuris

À chaque fois que je rentre chez moi, j’ai l’occasion de voir ce super panneau devant l’entrée de la ville de proche banlieue de Paris qui m’accueille pour dormir à l’intérieur de ses frontières, moyennant la ponction de mes maigres économies pour m’y acheter un appartement et y payer les taxes d’habitation et foncière associées. Disais-je donc, je vois ce panneau :

Ville 1 fleur

Et, ne mentons pas, c’est risible. Et c’est risible pour deux raisons.

Première raison : faut-il vraiment se vanter quand on a une fleur sur quatre attribuables ? Est-ce qu’un parent sensé magneterait (du verbe magneter, v.i. du premier groupe : qui colle quelque chose sur un réfrigérateur grâce à un magnet ou un aimant décoré) le dernier devoir de math de son gamin si la note était de 5/20 ? Non, je demande.

« Bravo, Junior, c’est super bien 5/20, on va le magneter sur le frigo et je vais le montrer à tous mes amis, parce que franchement, c’est la classe ! ».

Obviously not. (Je sais pas, en ce moment, j’ai pas envie d’écrire très français, une dérive sûrement due à mon passage dans la presse d’enculeurs de mouche).

Oui, vous allez me dire : « Non, mais t’es con ! C’est super déjà une fleur. Est-ce que tu reproches à un mec qui a une étoile au Michelin de l’arborer fièrement sur la devanture de son restaurant ! ». Vous avez raison. Mais si mon premier argument vous laisse de marbre par son évidente mauvaise foi, permettez-moi dans ce cas de vous présenter le suivant.

Seconde raison : en admettant que « WOUAHOU, UNE ÉTOILE, C’EST SUPER ! », reconnaissez que dans le paysage urbain des banlieues parisiennes où le béton a remplacé la moindre trace de verdure, UNE étoile pour n’importe quelle ville qui fait le tour du périphérique, c’est de la véritable connerie. Si je devais faire une comparaison qui vous soit accessible, je dirais que c’est comme si les Mc Donald’s avaient une étoile au Michelin ou une toque au Gault & Millau. Là où j’habite, il y a un parc absolument dégueulasse sous l’autoroute et un autre parc plus joli (toutes proportions gardées) avec des allées bétonnées, la pelouse étant bien sûr interdite. Il est minuscule, et il est fermé après 16 heures.

Conséquence de mes réflexions, je suis allé voir comment étaient attribuées ces fameuses étoiles. Il y a donc tout un protocole qui a l’air bien chiant pour qu’un inspecteur vienne visiter votre ville ou village et cet inspecteur attribue des notes sur des critères établis par je ne sais qui, mais on s’en fout.

Ce qui est marrant, c’est qu’on peut accéder à la liste des critères. Ce que j’ai fait. Et c’est très intéressant.

Il y a 6 points différents, et grosso modo, le juge attribue une note : « Inexistant / Initié / Réalisé / Conforté ». Exemple (c’est petit, mais tu peux cliquer d’ssus) :

Grille 1

Ou :

Grille 2

Mais, plus étonnant, pour certains critères, même si le juge considère que c’est « inexistant », la ville a QUAND MÊME le droit à une étoile. Genre, t’as pas répondu à la question, mais t’as un point de toute façon. Je sais pas pourquoi. Ça ne fait aucun sens. Et c’est ça sur quasiment un critère sur deux. Ce qui veut dire qu’en gros, tu n’as pas une plante dans ta ville, mais tu peux quand même avoir le Graal de la première étoile :

Grille 3

Pas de diversité ? Pas grave, une étoile ! Pas de concertation avec la population, bah deux étoiles, c’est du beau travail de pas l’avoir fait !

Et puis, parce qu’il faut bien aider les villes les plus nulles à espérer avoir une étoile sur l’entrée de la commune, il y a le dernier critère, « pour l’honneur », qui s’appelle « La Visite du jury ». Trois points sont analysés par l’inspecteur.

Point 1 : la présence d’un élu avec lui. En gros, s’il était tout seul (inexistant ou initié), zéro point. Si un élu était là, une ou deux étoiles ; s’il a payé le repas le midi et le vin, là, c’est trois ou quatre étoiles (si le vin était bon).

Point 2 : organisation de la visite. S’il n’y avait pas de visite, c’est zéro. Si la visite a été « initiée » (y avait des pancartes, peut-être, je sais pas ce que ça veut dire), c’est une étoile. Si elle est « réalisée » (on voit pas comment ça ne pourrait pas être le cas), c’est deux ou trois étoiles. Et si elle est « confortée » (j’imagine que ça veut dire que tout le village a fait une ola à chaque passage de l’inspecteur), c’est 4 points (four points, vier Punkte).

Et point 3 : pertinence du circuit. S’il n’y a pas de pertinence, encore zéro ; si elle est « initiée » (ça passe dans une décharge ?), c’est un point et ainsi de suite :

Grille 4

Évidemment, à la lumière de ces informations fracassantes (jamais révélées par le Canard enchaîné), je ne suis plus vraiment surpris que ma ville ait gagné sa fleur. Je pense même que la maire a dû tenter un pot de vin pour s’en assurer une deuxième, mais l’inspecteur a dû lui faire remarquer que malgré la qualité du déjeuner et du chorizo grillé au thym arrosé de porto, ça risquait de se voir un peu…

Le Secret de la pizza quatre fromages

Ma vie est une longue complainte, depuis le premier cri au sortir du ventre de ma mère, jusqu’à avant-hier où je me suis cogné le petit doigt de pieds sur le montant du lit.

Mais dura lex, sed lex, et malgré le peu d’envie qui m’anime, j’ai décidé de parler de ce problème (dont je pensais avoir déjà parlé, mais en fait, j’ai juste pensé que je l’avais fait, et souvent, quand je pense à quelque chose, j’ai l’impression que je l’ai fait, par exemple, je me lève, et je décide d’aller faire du sport et finalement, quand je me couche le soir, j’ai pas fait de sport, mais comme j’y ai pensé, je me dis : « Pas mal, le sport, aujourd’hui, j’ai bien fait de penser à en faire, j’y retournerai demain », alors qu’en fait, si vous avez compris mon charabia, j’ai pas fait de sport).

(Depuis que je travaille dans un journal où je dois vulgariser à longueur de journée et expliquer des trucs super simples à des abrutis qui ne comprennent rien, je me dis que j’ai bien le droit d’être incompréhensible quelque part, et cet endroit, c’est ici).

(Après tout, je paie moi-même mon serveur pour héberger mon blog, si j’ai envie de faire des fautes de français, je vois pas pourquoi je devrais m’en empêcher, non, mais sérieux, vous êtes quoi ? des communistes pour faire vos grammar-nazis à longueur de journée ? Get a life, les mecs)

C’est bon ? J’ai perdu mes trois lecteurs ? Bien, continuons.

Chaque été, à la mer, on organise des pizza party (PARRRRRTTTTTYYYYYYY). On s’achète des pizzas et on les mange sur la plage. C’est le mercredi, une fois par semaine. Et on boit du rosé. J’avoue ne pas me souvenir de quand date cette tradition, mais elle aussi vieille que le monde (enfin, que « mon monde » au moins, sauf le rosé, avant je buvais du coca, mais maintenant, je bois du rosé).

À ce stade pas très avancé de l’histoire, il convient de préciser une chose. Je ne bois pas du rosé parce que c’est bon, seulement pour supporter les gens qui m’entourent à ce moment précis de mon existence : la vieille conne de la maison d’à-côté et ses petites-filles « âbsolûûûmaaaaââânt géniâââââles », l’autre vieille conne qui pue de la bouche avec son petit-fils « qui est difficile, mais le pédiatre m’a dit que c’était un génie », les enfants des autres qui courent partout, te jettent du sable à la gueule et dont les parents te font : « il est adorable, hein ? ». NON, IL EST PAS ADORABLE TON GOSSE, CE SERAIT UN CHIEN, IL AURAIT UNE PUTAIN DE CHAÎNE ET ON L’EMMÈNERAIT SE FAIRE PIQUER.

Reprenons.

Donc, on est une vingtaine sur la plage et on prend les commandes. Il y a trois types de familles : les pinces qui prennent une pizza pour quatre, les gros qui prennent quatre pizza pour un, et moi qui n’aime pas le fromage « mais sur la pizza, ça va, quand il y en a pas trop » (le chieur).

Et là, c’est SYSTÉMATIQUE, il y a toujours la moitié des gens qui dit : « On prend une quatre fromages ? ». Irrémédiablement, un autre dit : « Ah oui, c’est une bonne idée, mais une pizza, c’est trop, on n’aura qu’à la partager avec quelqu’un, Romain, tu prends quoi ? ». Systématiquement, je réponds : « Une reine ». L’intermédiaire reprend : « Ah bah alors, c’est bon, on prend une reine et une quatre fromages et on la partaaa… »

Je lève la main. Le silence s’impose par la seule présence de mes cinq doigts en l’air. Le ciel s’ombrage. Les parasols se ferment d’autorité. La température s’effondre. Je plisse les yeux, je regarde froidement toute l’assemblée et d’une voix abyssale je tranche : « Mais je ne partage pas ».

« Il est pas commode, ton fils », dit-on alors à ma mère, « pourquoi qu’il veut pas partager ? Tout le monde, il aime partager, non ? Regarde, ma fille, ma fille ? T’aimes partager ? Pas vrai que tu aimes partager ? Oui ? Eh oui ! Tu vois, tout le monde, il aime » (cette précédente phrase est à lire avec l’accent de Marthe Villalonga, si tu es trop jeune pour connaître, clique ici).

Alors, tel Jésus prenant la main de Marie, sa mère, avant de monter sur les chaffauds (un chaffaud, c’est le mot scientifique de la structure qui forme la croix sur laquelle on grimpe pour se faire crucifier) (true story), je déclame ma prophétie :

« Vous voulez des pizzas quatre fromages. Bande de sots. Chaque fois, vous répétez la même erreur, et vous n’apprenez jamais rien. Comme des chiens en cage, vous cherchez à attraper votre queue, devenant fous de n’y parvenir. Mais vous ignorez tout. Cette crasse indigence qui vous recouvre sera votre tombeau. Voyez. Écoutez ce que je dis. Entendez la prophétie du Prophète. Vous allez acheter des pizzas quatre fromages, mais vous allez vous ruer sur toutes les autres avant. Quand votre estomac sera plein, vous couperez la pizza quatre fromages. Et vous allez en manger une minuscule part, laissant le reste flotter sur les lagunes de votre indifférence ».

– Qu’est-ce qu’il dit ?, répond l’autre débile avec son accent pied-noir.
– I DIT QUE VOUS ALLEZ FAIRE COMME D’HAB, QUE VOUS ALLEZ BOUFFER NOS PIZZAS ET VOS QUATRE FROMAGES À LA CON, VOUS ALLEZ LES FOUTRE À LA POUBELLE, crie-je et m’étrangle-je (oui, c’est fait exprès, ça m’amuse de mal l’écrire).

Les pizzas arrivent. Vingt personnes, douze pizzas, six quatre fromages et MA reine.

On les distribue. J’ouvre mon carton, les autres avec les pizzas quatre fromages commencent à ressembler à des loups affamés, j’entends les conspirations s’ourdir, tel un escadron de moustiques ordonnant une attaque contre une artère fémorale. « J’ai pris une quatre fromages, mais je peux te prendre un morceau de ta paysanne ? Mais tu pourras prendre une part de la mienne avant ».

Les parts de pizza s’échangent, se monnayent même parfois : « j’achèterai un beignet à ton fils demain, si tu me laisses te prendre un croque dans ta napolitaine ».

Le festin s’achève enfin, le rosé a remplacé mon sang dorénavant, j’ai gardé un quart de ma reine. Comme des grosses mouches attirées, leurs yeux globuleux s’approchent de mon carton, c’est la dernière part qui n’est pas une quatre fromages. Des quatre fromages, il y en a encore deux entières que personne n’a touchées. Je les vois, je vais leur baygonner la gueule à ces connasses de mouches.

« Bzzzzzz. Bzzzzzzz. Bzzzzzz. Romain, il t’en reste ? Je peux te prendre ta dernière part ? Non, parce que j’ai pris une quatre fromages, mais j’en peux plus, là ». Je regarde ces grosses mouches. Elles s’approchent, j’ai peur qu’une ne me ceinture avec ses pattes gluantes. Je récolte du sable avec mes mains, je les positionne en cône au-dessus de mes restes. Les mouches s’arrêtent, elles ont peur, elles savent que je suis prêt à tout.

Mes mains s’entrouvrent, le sable glisse le long de ma paume et choit sur la pizza. Je regarde les mouches une dernière fois.

« Plutôt crever ».

Je me lève, je fous du sable encore, je prends le carton, je le déchire en plus petits morceaux qu’une offre de crédit Sofinco reçue par la poste, je jette tout ça à la poubelle, je torche mon verre, je suis bourré, je fais la bise de loin à tout le monde, je monte dans ma caisse, je démarre et en repassant, je lance en bon faux-cul : « Allez ! Bonne soirée ! C’était super ! Et les enfants étaient trop gentils ! On se refait ça la semaine prochaine ? ».

Tas de cons.