Autant l’avouer, même dans mes rêves les plus fous, je n’ai jamais imaginé avoir aussi peu d’idée pour écrire pour mon blug. Il faut dire qu’en ce moment, j’ai la présence d’esprit d’un pit-bull, alors forcément, ça n’aide pas. Tiens, la semaine dernière, par exemple, j’ai rêvé que j’étais dans le métro qui va vers Villejuif, dans un wagon chargé de toxicos (ce qui est complètement con parce que les toxs vont plutôt à Marcadet Poissonniers ou Max Dormoy) dont certains étaient piqués au cou (genre, des vampires, quoi), et qu’ils n’étaient pas vraiment super open à l’idée que je descende de la voiture. Tu parles que ça aide pour avoir envie d’écrire des trucs.
Hier, en revanche, je suis allé voir Océans (Ocheunns, comme je l’ai dit à la caissière parce que je suis très malin). Ce chef d’œuvre de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud nous montre pendant une heure et demi de la bouffe à l’écran. J’adore les films d’ambiance avec de jolies images devant le nez, encore faut-il qu’il y ait une trame scénaristique un tout petit peu consistante, d’autant que là, ils s’y sont mis à sept pour l’écrire. Autant le dire de suite : on ne trouve pas l’ombre du début du commencement de la moindre conception d’embryon d’idée dans la succession d’images du film. Ça commence par un reptile qui monte sur un caillou après qu’on a vu des rouleaux de vagues successifs s’écraser sur la côte, une ribambelle de gamins qui court dont un aux cheveux blonds et au teint pâle qui s’arrête face à la mer et la voix off commence : « Mon petit-fils, qui est un peu génial sur les bords, m’a posé cette question géniale elle aussi : ‘papy, mais qu’est-ce que c’est que l’océan ?’ L’océan, l’océan, comment te répondre mon petit, c’est tellement vaste comme question que… non, non… ne dis rien, je… comment dire ?… j’ai mal à ma mer ». Je crois que c’est après que débute le générique, générique qui consiste en une longue liste de sponsors et de participations dont (tiens toi bien) la Fondation Total. Non mais QUOI DE MIEUX pour s’acheter une conscience verte que de participer à un film sur le littoral breton ? Et bien rien. Quand arrivera l’histoire de l’homme dans la narration (comme toujours, ces films disent : la nature, c’est beau, l’homme fait caca dedans, la nature meurt), on aura le droit à une superbe vue satellite des côtes (il se trouve que l’agence spatiale française a filé des images, et il aurait été terriblement triste de ne pas s’en servir quand même) avec les ravages de la pollution : « L’homme, ce salopard fini à la pisse, pourrit les fleuves avec sa pollution, et ce poison coule dans les veines de l’océan » et pas un mot, PAS UN MOT (je gueule parce que ça m’agace fortement), PAS UN MOT, donc, sur les marées noires.
Mais, en revanche, l’ami Jacques nous explique quelques minutes après que lorsque l’océan se démonte et se déchaîne et que l’homme sur ses frêles embarcations doit lutter contre lui, parfois, et c’est triste, mais parfois, le bateau est emporté par une lame de fond, bateau qui heureusement deviendra un squat à poiscailles. C’est qu’on va quand même pas se mettre à dos un si gentil actionnaire.
Ça sent que ça me révolte ? J’ai des combats nobles, pour sûr. Ensuite, Jacques arrive, prend la main de son petit fils, l’emmène dans un genre de musée d’histoire naturelle artificiel où des orques, des épaulards, une baleine, des phoques, et des tas d’autres bestioles sont empaillés. Et là, dans un élan de dénonciation extravaguant, on voit chaque animal et Perrin nous dit : « exterminé, exterminé, lui aussi exterminé, et lui ? exterminé, ça aussi, il faudra que je lui dise [à son petit-fils] » et pouf, un plan du petit fils avec en contre-plongée son papy qui lui tient la main par l’épaule (à la relecture, je pense que je voulais dire « qui lui pose la main sur l’épaule »).
Non, vraiment, c’est très fort comme film. Par la suite, l’ami Perrin nous emmène au pôle sud et nord, pour nous causer deux minutes de fonte des glaces. On voit un ours polaire de loin qui a faim, alors dans la salle on est triste (c’est vrai que la famine, ça ne touche que les animaux), puis il nous raconte qu’on peut vivre en harmonie avec les animaux, qu’il y a même des gens qui « explorent les fonds marins avec respect », texte agrémenté de plongeurs qui font chier des mérous et qui prennent des notes genre : « oui, c’est bien un mérou ». Et pour finir, on revoit encore des baleines, puis des dauphins qui dansent la farandole, et on termine par le même reptile qu’au début et j’avoue qu’on ne comprend pas bien pourquoi mais Jacques, lui, il s’en fout, il a une mission.
Et, tiens, j’avais oublié, ça, mais il faut en parler : les bruitages (je ne parlerai pas de la musique atroce de Bruno Coulais – que le diable te maudisse). Qui a déjà foutu la tête sous l’eau sait parfaitement que quand un poisson passe à côté de toi, le poisson fait « fischhhhhhhhhhhhhh », s’il recrache de l’eau par ses branchies ça fait « bloup bloup », si un crabe marche sur le sable à quinze mètres de profondeur ça fait « krsch krsch krsch krsch » et si une araignée de mer rampe sur une autre araignée de mer ça fait « tchik tchik tchik tchik tchik ». Merveilleux.
À minuit trente, avec toutes ces belles images dans ma tête, j’étais ému aux larmes, je rentre dans le wagon de la ligne 4 qui part vers Tombouctou (Montparnasse, quoi), et j’ai dû descendre à Saint-Placide car un type alpaguait un mec à côté de moi promettant « qu’il allait le suivre quand il sortirait du métro et qu’il allait lui casser la gueule ». Comme je ne suis ni courageux et encore moins téméraire et que le type se tournait vers moi et m’interpellait : « mon frère, toi, t’es sympa, tu m’réponds, pas comm’l’aut’enculé d’sa race, je vais lui marave sa tête de connard », j’ai jugé plus malin de remonter la rue de rennes plutôt que de risquer quoi que ce soit. Ou alors était-ce un rêve ?